Femme de marin 2013-5: SDF

Je parle souvent en lien avec le Capitaine : le capitaine parti, le capitaine là… comme si je n’avais pas de vie ou que ma vie se résumait à une attente à la fenêtre, à regarder un quai désert, ou une attente dans une salle d’attente pour surmonter la maladie comme on surmonte une tempête.

 Il y a tous ces soupers pris toute seule, dans le silence de la maison, un verre de vin pour me donner de la force (une chance que je n’ai pas de tendances alcooliques!) et la télé ouverte pour m’apporter une présence (à moins que je parle seule et tout haut, simulant un dialogue avec un ami imaginaire). On pourrait me croire folle. Et quand je pense à mes amies et ma fille de qui je m’ennuie, j’ai parfois le vin triste… Je suis pas le genre à m’imposer.

 Je me concentre sur des petits riens qui meublent ma journée, petits moments de bonheur glanés ça et là : un déjeuner fait de crêpes maison, un 2e café fumant, un courriel du Capitaine, des cours de photo ou du temps passé à faire une mosaïque ou une toile, un bon film à la télé, une razzia chez Jean Coutu…

 J’ai fait le deuil d’une vie d’exaltation, d’une vie aux attentes irréalistes. L’heure avant l’heure c’est pas l’heure, l’heure après l’heure c’est pas l’heure; l’heure, c’est l’heure. Ce qui veut dire qu’il faut tenter de vivre le moment présent pour ce qu’il est, ni plus ni moins. Moi qui ne suis pas douée pour ça, ça égratigne des fois. Les gens voient les voyages du Capitaine et me font la réflexion que NOUS avons une vie excitante… Elle n’est hors du commun que parce que je vis avec le Capitaine. La mienne est si simple, ponctuée par un talent pour l’écriture qui me fait embellir le fond le plus banal.

 Le Capitaine est parti depuis 15 jours et je suis dans la phase d’ennui du Capitaine où je balance entre « shit, que c’est long! » et « vivre seule c’est super ! ». Le plus emmerdant c’est que je ne sais jamais combien de temps cette phase va durer. À chaque année, c’est une nouvelle adaptation mais ce n’est plus une épreuve, comme j’ai dit dans un article précédent. Juste une étape emmerdante.

 J’ai baptisé cette étape SDF : Pendant que le Capitaine est Sur Domicile Flottant, moi je suis présentement Sur Déprime Fugace, ce qui veut dire que ce n’est que temporaire, tout comme la neige qui tombe encore aujourd’hui. On a beau se dire que ça ne va pas durer, quand c’est là c’est drôlement chiant!

 Hâte de voir les Sacoches et ma fille, de les serrer dans mes bras, de rire non pas seule mais avec quelqu’un…

Femme de marin 2012-5: Y A DE CES PETITS BONHEURS…

Le vrai secours consiste parfois à laisser l’autre disposer de toute sa solitude, à ne pas, précisément, lui venir en aide… (…) C’est difficile quand vous aimez quelqu’un de ne pas le faire entrer, doucement, dans vos fins. C’est très difficile d’aimer l’autre sans aussitôt le rabattre sur vous, sur vos attentes, sur vos espérances, sur vos goûts.  Mais le mieux que puissent faire ceux qu’on aime c’est de nous décevoir : d’être là où nous ne les attendions pas, de ne ressembler à rien de connu, rien d’espéré. (Christian Bobin, Merveille et obscur).

Je me suis fait discrète ces temps-ci. J’ai préféré « laisser le crachoir » à mon capitaine d’amoureux qui a fini par ouvrir des pans de son journal de bord. Mais faut dire que depuis qu’il a traversé l’Atlantique, je le tanne annuellement pour qu’il écrive plus, parce que moi, je ne peux pas inventer sur ce qu’il a vu. Tout ce que je peux faire est de télécharger sur le site les photos qu’il m’envoie et, la plupart du temps, je n’ai aucune idée de ce que sont les édifices qu’il photographie. Ça devient frustrant à la longue.

Donc, à chaque année, plus le départ approche, plus la supplique s’installe gentiment. Cette année, il a fait un effort suprême et j’ai tout autant plaisir à le lire qu’à l’entendre. Je sais combien c’est difficile pour lui car il n’a pas le verbe aussi aisé que le mien quand il s’agit de le coucher sur papier. On a beau être un pamphlétaire dans l’âme devant les causes qui se multiplient, ça ne fait pas de soi quelqu’un qui excelle dans les autres formes de communication!

Mais ce soir, je reprends le flambeau, le temps d’une chronique. Une fin de matinée dans les retrouvailles d’une chère amie que j’ai trop peu vue depuis la dernière année. Une amitié qui est née en un temps où tout se délestait. Une amitié qui est restée. C’est comme çà. Ça arrive au moment où vous vous y en attendez le moins. Vous êtes seule sur le quai et vous n’en finissez plus de vous dire qu’il faudrait bien rebrousser chemin dans vos terres, mais le temps passe et vous ne bougez pas. Quand vous vous décidez enfin à vous retourner, il y a ce petit bout de femme qui est là, sortie de nulle part. Elle vous salue de la main, se présente et vous sourit. Ce qu’elle dit vous fait rire et vous fait sentir encore vivante. C’est ça la vie : quelque chose qui vient vous extirper de vous-même au moment où vous allez vous enfoncer avec l’immense impression que vous ne pourrez pas remonter à la surface. Un ange passe… et c’est pour le mieux.

De quoi avons-nous parlé déjà? De l’amour, quoi d’autre? De l’amour qu’on omet souvent de se porter à soi-même mais toujours à ceux qu’on aime, même s’ils nous enragent ou nous désespèrent de temps en temps. Des rendez-vous qu’on se donne avec soi-même tout au long de la vie, mais auxquels on oublie parfois de se présenter, trop embourbés dans le difficile appareillage des genres. Parce qu’apprivoiser l’autre, c’est presque aussi ardu qu’être avec soi-même, mais pas autant. Parce qu’apprivoiser l’autre, même si c’est pas de la tarte, ça nous repose franchement de notre petit nombril, parfois. Avouons-le. J’en connais qui passent leur vie à se plaindre qu’ils n’ont jamais de temps pour eux, et lorsqu’ils obtiennent enfin ce qu’ils désirent depuis si longtemps, ils tournent en rond et usent le tapis. Be careful on what you wish…. Donc, on se dit que l’autre est une occupation, bien souvent. Pas tout le temps, mais souvent. C’est plate, mais c’est de même!

Et à force d’être avec quelqu’un, on finit par comprendre que c’est plus qu’une occupation. C’est probablement un beau détour pour revenir à soi, travailler sur soi. Il est là le rendez-vous…

La vie n’est pas dans tel corps, telle figure et telle chose.  Elle n’est pas ici ou là.  Elle est entre ce visage et cet autre visage, entre cette chose et cette autre chose, entre ici et là.  Entre deux, toujours (C. Bobin).

 Aujourd’hui, la vie était là, entre nous deux. Toi, toujours avec ton beau sourire, qui tend la main comme au premier jour. Chesterton disait que les anges peuvent voler parce qu’ils se prennent à la légère. Je crois bien qu’aujourd’hui nos rires nous ont élevées mutuellement… Merci, chère amie!

Femme de marin 2012-4: « La vie à deux a ses périls ; toutes les heures n’y sont pas parfaites. » – Paul Géraldy

Depuis bientôt 9 ans que nous vivons ensemble, voilà cinq années que nous sommes devenus un couple « mi-proche, mi-distance » (j’ai préféré ce terme à celui de « couple en alternance » dont j’ai parlé dans mon article https://maler999.wordpress.com/2012/04/12/lappel-du-large/. Depuis que le Capitaine est à la retraite, nous vivons de cette façon et bien des questions m’ont été posées concernant mon adaptation à ce nouveau style de vie, la question la plus fréquente étant : « Trouves-tu ça difficile? », souvent suivie du commentaire : « Moi, je n’y arriverais pas ».  Au fil du temps, il y a eu bien des variantes à cette question mais jamais personne n’a osé poser une question directe concernant la fidélité, hormis quelques petites blagues du genre : « Loin des yeux, loin du cœur » ou « Une femme dans chaque port » (et un porc dans chaque homme??).

Bon! Ce serait mentir  de vous dire que je n’y ai jamais pensé, que je n’ai passé aucune nuit à me faire du mouron et que je n’ai jamais questionné le Capitaine sur ses rencontres outre-mer. Il serait aussi réducteur de répondre une phrase simple du genre : « Je lui  fais confiance » à moins qu’on veuille dévier une conversation qui pourrait devenir gênante. Il est vrai que l’éloignement est une situation difficile à gérer car la tension est parfois forte (l’autre vous manque, il y a toujours la peur d’être trompé(e) qui rôde, peur d’une rupture car l’autre vit des choses différentes et qui sortent de l’ordinaire). On devient territorial du fait de vivre seul, ce qui peut teinter les visites et les retours d’un sentiment momentané d’envahissement mutuel.

La première chose à se dire – que l’autre soit là ou pas – est qu’on forme un couple. Il faut avoir confiance dans ce lien et tenter de l’entretenir de toutes les façons possibles. En d’autres mots, cela veut dire qu’il faut vouloir investir du temps pour et avec l’autre, même s’il est au loin. Si, au quotidien, chacun des partenaires a besoin de sentir qu’il compte pour l’autre, imaginez lorsqu’un des deux est à des centaines, voire des milliers de kilomètres pendant des semaines ou des mois!

Pour répondre à la question sur la peur de l’infidélité, je peux dire aisément, pour en avoir été moi-même victime dans le passé, que l’infidélité n’a pas besoin de la distance pour s’installer. Il faut donc que le couple ait bâti une confiance mutuelle forte au préalable s’il veut résister à l’éloignement, sinon, les suspicions, les doutes, les reproches, les interrogatoires à outrance vont finir par devenir de la paranoïa et amener une rupture.

Différentes équipes de chercheurs américains dont celles de Clements et Markman (Clements, et al., 1997) et de Gottman (Gottman et Silver, 1999) ont constaté que certaines caractéristiques permettaient en effet, avec une précision assez grande, de prédire les probabilités d’insatisfaction et de séparation. Ils ont constaté que les aspects positifs d’une relation (niveau d’engagement, harmonie sexuelle, intimité, satisfaction, etc.) ne permettaient pas de prédire les probabilités de succès d’une relation. Ce qui semblait prédicteur par contre, était la façon dont les couples réagissaient aux divergences et aux conflits lorsqu’ils se présentaient. Dit autrement, ton couple risque de durer plus longtemps si ta façon de régler les conflits fait en sorte que chacun des partenaires y trouve une relative satisfaction.

Si le bonheur c’est de l’ouvrage au quotidien, l’éloignement fait en sorte de cultiver l’art d’affronter le quotidien « en couple mais seul(e) ». Dans le lien à l’autre, il faut apprendre à communiquer correctement dans la distance car les écrits sont parfois sujets à une mauvaise interprétation; les émotions, lorsque reçues de l’autre côté, peuvent être interprétées aussi comme encore présentes (un cafard passager peut apparaître comme une dépression pour l’autre qui le reçoit). Il ne faut pas aussi tomber dans le piège de la jalousie ou les procès d’intention.

Garder le contact et le bon m’apparaît une tâche plus importante et qui n’apporte guère de repos, tâche qui demande une énergie constante. Cela doit, dans la mesure du possible, se faire au quotidien afin que l’idée de couple ne meure pas. Si un matin en se levant, mon conjoint, pour aucune raison valable, me disait : « Aujourd’hui, je ne te parle pas », ce serait inacceptable. Et cela ne l’est pas moins parce qu’il est loin, en autant que les communications et le lieu le permettent. Il y a des exceptions comme lorsque le Capitaine est en mer ou qu’il est parti dans le désert comme c’est le cas présentement.

En ce sens, il faut savoir choisir ses batailles. La peur de l’infidélité peut, à mon avis, devenir un travail qui se pose à soi-même, travail sur nos peurs bien plus que sur l’amour lui-même (est-ce de la jalousie? Un manque de confiance en soi? De la possessivité? Une volonté de contrôler l’autre sur ses allées et venues?).

Ce qui me manque le plus c’est au fond la présence de l’autre, la chaleur humaine, l’échange avec l’autre et en ce sens, nous nous créons des rituels quotidiens en se fixant des heures de rencontres virtuelles par le biais de Skype, de la caméra où le plaisir d’entendre la voix de l’autre et voir les expressions de son visage peut pallier en partie à ces manques.

On s’entend pour dire que vivre éloignés est rarement un choix. Bizarrement, nous en avons peu discuté car dès notre première rencontre, les dés étaient jetés. Ce projet de vie que le Capitaine entretenait depuis la vingtaine serait mis à exécution dès sa retraite. Malheur à la vilaine créature qui aurait tenté de le détourner de ce dessein! Elle se serait fait jeter dehors manu-militari. C’était comme épouser quelqu’un qui a déjà des enfants. Pour ma part, ce fut comme accepter un homme et sa maîtresse! Cependant, il fut clair de préciser, pour ma part, que c’était l’unique maîtresse que j’acceptais!

La vie ne nous met jamais à l’abri de rien, quoi qu’on en pense, mais en attendant, il faut éviter de se morfondre et réadapter son mode de vie, s’accorder du temps rien que pour soi et ne pas rester cloîtré chez soi à attendre l’appel (d’où l’importance de se fixer des heures de rendez-vous). Il faut savourer les moments seul tout comme on savoure les moments à deux. Il ne faut pas non plus rester dans un doute qui nous empêche de dormir et savoir régler la question dès que possible tout en dosant nos propos. Il faut aussi continuer d’élaborer des projets à deux tout en parlant à l’autre de son quotidien. Il faut aussi planifier et savourer les retrouvailles car elles sont une nouvelle rencontre avec, à chaque fois, les mêmes émotions ravivées.

Il n’existe pas de vie parfaite dans le quotidien à deux, pas plus qu’il y en a dans l’éloignement. Chacun des partenaires amène avec soi le poids de son passé. Comme l’a dit si bien Guy Corneau : « Un nombre incalculable de fantômes du passé peuplent nos chambres à coucher. Hommes et femmes doivent lutter pour ne pas sombrer dans l’archaïsme de relations mère/fils et père/fille qu’ils ont tendance à reproduire dans leur couple ». Il y a dans l’éloignement quelque chose du détachement que je suis en train d’apprendre…

Femme de marin 2008-11: La traversée du Retour aux Sources… point de vue de celle qui reste

 

 Je suis Mado, une femme de marin.

 

Il n’est pas facile de parler d’une expérience qu’on a vécue dans l’ombre de ceux et celles qui étaient sous les feux de la rampe. En fait, j’ai de la difficulté à m’approprier cette expérience parce que, quelque part, je n’y étais pas. J’étais plutôt en marge, coupée du monde, moi aussi, à ma façon. C’est comme si, pour moi, le temps s’était suspendu.

 

Pour la majorité des navigateurs et de leurs conjoints restés à terre, l’expérience est terminée. Pour moi, elle commence. Parce que la traversée n’était que le début d’un long périple qui éloignera mon capitaine six mois par an à compter de maintenant. Un périple qui devrait le mener jusqu’en Turquie.

 

Mais pour moi, l’éloignement a débuté en mai dernier lorsque Serge est parti vivre à Gaspé, sur le bateau, afin de finaliser les derniers préparatifs. D’abord, en mai, il y a eu quelques jours à Montréal où Serge courait partout pour récupérer du matériel et clore les derniers arrangements. Puis, à la fin juin, j’ai passé trois jours dans le chantier qu’était devenu Nomade II en me demandant si tout allait être prêt à temps. Et pour terminer, je suis allée à Rivière-au-Renard passer les deux derniers jours avant le départ. J’ai retrouvé un capitaine fatigué, préoccupé. Le corps y était mais la tête était ailleurs, non pas dans les nuages, mais dans l’océan, déjà à pourfendre les vagues. En plein dans les planifications, les prévisions, les bris de dernière minute qui vous aiguisent les nerfs et vous rendent « aérien », la tête en friche, impatient de partir avant l’heure.

 

Contrairement à ce qu’on pourrait croire ou espérer, la dernière nuit ne fut pas enchanteresse. Elle fut courte, agitée, quelque peu insomniaque. L’épuisement, le stress, l’attente. De tous les beaux discours qu’on a pu se répéter en silence, de toutes les belles promesses qu’on a pu échafauder, de tous les projets qu’on se promettra de faire au retour, rien ne sort. Les mots sont économes. Les malheurs qu’on craint, on les garde pour soi.

 

On ne sait si c’est de la fébrilité, de l’excitation ou de la nervosité. On use le quai, on se tient disponible au cas ou… Et puis, il y a tant de monde, tant de va-et-vient, que la pudeur prend la place. On ne veut pas se donner en spectacle. On effleure l’autre d’un regard complice tandis que les mots restent pris, quelque part entre le cœur et la gorge. Et lorsque le voilier est si petit au loin qu’il se confond avec la ligne d’horizon, il y a une sorte de désespérance qui vous envahit, parce qu’il est trop tard et qu’on ne peut plus revenir en arrière. Déjà, il est en plein cœur de son rêve et le vit.

 

Quelqu’un vous adresse la parole mais vous n’entendez pas. Vous hochez de la tête, feignant d’être d’accord avec ce qu’il vient de dire, mais vous n’entendez que le bruit des vagues qui claquent contre la coque. Le vent, déjà, emporte les mots comme un voleur. Pour vous, pour celui ou celle qui demeure sur le quai, vous vivez un de ces jours où les citrouilles restent des citrouilles. Il n’y a pas de carrosse qui vous attend. Vous revenez à votre quotidien et tentez de lui donner un sens.

 

Les jours s’écoulent normalement, sauf que vous vous demandez parfois si vous avez pris la bonne décision, et votre écran d’ordinateur devient votre meilleur ami. Vous vaquez à vos occupations mais quelque chose a changé.

 

Cette complicité que vous aviez développée avec votre conjoint, ce petit plus qui agrémentait votre vie, s’est tout à coup modifiée sans que vous l’ayez vraiment décidé. On croit, à tort, que les doutes nous assaillent uniquement lorsque le couple ne va pas bien, mais les décisions et les projets, même s’ils sont bien assumés, génèrent leur part de stress. Ce qu’on croyait acquis peut parfois se révéler sous un autre jour. Plus personne n’est là pour vous apaiser et c’est bien souvent votre voix qui vous répond en écho. Mais il y a un aspect positif à tout cela, celui de poser des questions que les réponses ne viendront jamais endormir.

 

Cette traversée, je l’ai vécue de l’intérieur, en silence. Vu de l’extérieur, j’ai fait en sorte que rien, ou presque, ne paraisse. Pour les voisins, rien n’a changé sauf qu’ils me voyaient maintenant tondre la pelouse et sortir les déchets. « L’amour, ce n’est pas quelque chose, c’est quelque part » (Réjean Ducharme), et ce quelque part, je savais où il était.

 

Donc, vous vaquez à vos occupations et lorsque arrive enfin un petit courriel, la paix s’installe pour quelque temps. Vous marquez d’une croix sa position sur la carte et vous comptez les milles nautiques qui restent à faire. Le calendrier se noircit d’une journée en moins qui vous sépare de lui et vous partez habiter votre grand lit, seule. Pour cette fois, ce sera une nuit sans insomnie, une nuit où vous pourrez récupérer un peu. Puis, une autre journée recommence. Vous gardez vos doutes pour vous et tentez d’être gentille. Il y a tant de gens qui attendent que vous vous activiez, que vous preniez les bonnes décisions, que vous soyez là encore et toujours pour eux. Le corps y est mais la tête est ailleurs, un peu dans les nuages, mais aussi près de son épaule lorsqu’il barre le bateau. Plus qu’à 300, qu’à 107, qu’à 50 milles nautiques. Les craintes du large s’estompent à mesure qu’il s’approche de son objectif et votre fébrilité vous rend affable. Vous n’avez rien à dire, l’entourage sait en vous regardant que l’arrivée est pour bientôt. Le jour où il arrive enfin, vous débouchez une bonne bouteille et vous prenez plus qu’un verre. Après tout, c’est fête aussi pour vous. Le téléphone recommencera à sonner et vous entendrez de nouveau sa voix, comme un chant de sirène…

 

Pourquoi ai-je accepté cela dès le départ lorsque j’ai rencontré Serge, il y a cinq ans? J’aurais pu me sauver à toutes jambes et choisir soit de vivre seule (et ainsi me couper de grands bonheurs), soit de tenter ma chance avec quelqu’un d’autre qui ne songeait pas à partir. Mais j’ai connu des maisons où deux personnes y vivaient non ensemble, mais à côté de l’autre. Des colocataires, sans plus.

 

En aucun temps, il ne m’est venu à l’idée de l’éloigner de sa route. Au début, j’ai pensé que j’étais un peu insouciante, bohème, du genre à pelleter lorsqu’il y a de la neige. Puis, j’ai pensé que je pouvais m’offrir un autre destin en le suivant. Il y avait quelque chose d’exaltant à imaginer une vie sur les flots, mais aussi d’exaspérant et d’épuisant à confronter mes peurs de l’eau.

 

Mais après réflexion, je pense plutôt que le courage de rester vaut aussi bien celui de partir. C’est que, voyez-vous, Christian Bobin a les mots pour le dire :

 

«Ce que j’aime le plus dans l’amour : que ça vous fasse rentrer dans le désert de vous, dans le silence de vous, dans l’obscurité de vous. Celui qui est amoureux est comme celui qui rentre chez lui. La maison est là, sous ses yeux ».

 

Aujourd’hui, j’ai trouvé une maison qui est mienne. Et cette maison, je veux que Serge la retrouve, habitée, à chaque retour. Je veux qu’il ait la conviction profonde que les retours en valent la peine, que ça fait toute la différence, et qu’ainsi, notre vie en soit gratifiée.

 

Ô Capitaine, mon capitaine….

Où puisses-tu te trouver sur cette terre,

Une maison t’attend,

Et un cœur pour t’étreindre,

Et une épaule pour t’y reposer.

Tel est mon destin.

Chronique 2008-5 du Nomade II

Bonjour à tous,
Aujourd’hui, je vous écrit pour vous parler de celle qui est restée à terre et qui représente pour nous notre port d’attache.
Mado, toi qui as eu la belle idée de préparer le site de Nomade II afin de permettre à tous ceux qui nous connaissent de suivre notre périple, je te dis merci.
Je me doute que d’être seule à Montréal n’est pas facile surtout que tu es séparée de ton bel amour.
L’été 2007, nous sommes partis tous les quatre pour un périple de trois semaines qui nous a mené aux Iles-de-la-Madeleine, à l’Ile-du-Prince-Édouard et dans la Baie des Chaleurs. Pour Mado, il n’a pas été facile de s’avouer que la voile n’était pas toujours un plaisir pour elle. J’insiste sur le toujours, car, il y a des moments où Mado apprécie la voile.
Elle a décidé de ne pas faire la traversée avec nous mais de nous suivre et de participer activement aux préparatifs. Un des résultats en est le site que vous visitez régulièrement. De plus, elle nous envoie avec vigilance les nouvelles que nous recevons de nos proches.
Vous dire l’importance pour Germain et moi de la savoir présente à tous moments, d’avoir la certitude que les nouvelles sont transmises, les mots ne sont pas assez forts.
Je n’envie pas la solitude de Mado car, ici à bord de Nomade II, il est impossible d’être seul sauf dans le sommeil. Peu de personnes connaissent la réalité de celle qui reste à terre et qui attend son beau capitaine. En connaissez-vous?????
Merci Mado pour nous mais surtout pour être notre port d’attache. Serge nous a lu ton dernier courriel et nos yeux se sont remplis de larmes et notre coeur s’est gonflé. Nous te serrons bien fort sur notre coeur.
 
Je vous glisse un mot sur notre journée. Nous devrions arriver à Sao Miguel en soirée. Éole se montre enfin généreux pour nous et le soleil est toujours de la partie.Nous roulons à plus de 7 noeuds, pour les néophytes, c’est une belle allure qui nous permet de gagner du terrain, je veux dire des milles nautiques.
Lors de mon quart hier soir, le ciel se gonflait de nuages bien chargés et nous pensions avoir de la pluie ou de l’orage. Comme nous faisons une bonne vie, les nuages se sont divisés et nous avons pu passer au sec. Le même phénomène s’est produit ce matin. Je pouvais voir la pluie tomber plus loin de nous et un gros nuage bien noir se dirigeait vers nous. Et bien, il a bifurqué et nous sommes restés au sec.
J’ai fait la marmotte ce matin car je sais que nous ne dormirons pas ce soir. Nous ne voulons pas manquer l’arrivée à Sao Miguel. L’odeur de la terre commence à nous manquer après trois semaines ainsi que tous les bons fruits et légumes du marché…..En passant, nous attendons toujours notre thon, la ligne est à poste. Avez-vous des trucs? C’est pour Serge.
Nous aurons de nouvelles photos à vous montrer dans les semaines qui viennent. Nous ne pouvons pas les envoyer des Açores, soyez patients.
Un gros câlin à Mado de la part de l’équipage de Nomade II
Bisous à tous mes petits amours, les grands aussi.
Chantal

Femme de marin 2008-8: Je te souriais pour voir naître ton sourire, je te baisais la main pour te regarder baiser la mienne. Et je me disais que jamais, jamais, je n’oublierais cela (Anne Philippe)

Une journée sans message est une journée suspendue. Je sais bien que lorsque je n’ai pas de nouvelles, ce n’est pas parce que tu m’as oubliée mais plutôt que les conditions ne le permettent pas. Mais ce matin, il y avait un courriel de toi expliquant les problèmes d’électricité qui t’empêchent parfois de communiquer avec moi. Le vent d’ouest et une houle de travers arrière rendent aussi toute manoeuvre compliquée à bord. Je t’imagine facilement tenter de taper un message avec l’ordinateur comprimé dans la cabine arrière alors que le bateau gîte sans arrêt.

 

Je pense très souvent à toi. En fait, tu es toujours dans mes pensées, quoi que je fasse, même au boulot. L’éloignement n’atténue pas mon amour pour toi, au contraire. Le fait de te savoir vivant quelque part sur cette planète m’aide à supporter ton absence. J’espère seulement que c’est la même chose pour toi et que ton amour ne s’est pas affaibli.

 

Il y a quelque chose de difficile à supporter dans l’absence de l’autre. Cela n’a rien à voir avec la capacité de vivre seule ou non, ni avec l’autonomie puisque je n’ai pas attendu ta présence dans ma vie pour mettre un pied devant l’autre. Cette difficulté, c’est l’absence des petits gestes quotidiens (un regard, un baiser, une caresse) qui rassurent, ce que j’appelle le « rituel entretenu de l’ouvrage amoureux ». C’est aussi ces petits regards volés lorsque l’autre se concentre sur une tâche et qu’il ne sait pas que vous l’observez. C’est là, bien souvent, qu’il vous apparaît le plus beau, dans cette espèce d’innocence non calculée à paraître sous son meilleur jour. Monte alors en vous ce confortable sentiment d’être à la bonne place avec la bonne personne.

 

Tu as écrit : « Je pense souvent, très souvent à toi » Et de savoir que tu penses souvent à moi me réconforte. Je t’aime et je t’embrasse xxxxxxxxxxxxx

Femme de marin 2008-3: Deux mondes parallèles

Leçon #1 pour ceux et celles qui restent à terre: deux mondes parallèles s’échafaudent. Le stress vécu par les deux parties n’est pas le même (hein, tu savais pas ça, Mado???).
 
Une escale à Port-aux-Basques pour le Nomade II a permis qu’on puisse se parler par téléphone ce soir. Et j’ai fait une bourde… Celle de vouloir régler des petites choses du quotidien. Or, les priorités ne sont déjà plus les mêmes et je dois m’ajuster à ça et comprendre. Le stress vécu par les navigateurs (i.e. météo, route à rectifier, bris, retards, adaptation aux quarts, à la vie de promiscuité, etc…) est quelque chose qui est parfois difficile à comprendre pour l’autre qui n’y est pas.
 
Jean Hatzfeld disait: « Ne peuvent comprendre que ceux qui y sont… ». Comment ai-je pu oublier cela, moi qui avais déjà clamé plus d’une fois cette phrase? Dure leçon pour moi lorsque j’écoutais la voix cassante de mon capitaine. Force est de reconnaître qu’il a raison. Mon rôle est de m’occuper de tout en son absence puisque c’est ce rôle que j’ai choisi, et aussi d’avoir une attitude empathique. Seuls sur leur navire, coupés du monde, pas toujours en contrôle des communications qui font des « free games » selon l’expression chérie de ma copine Goglu, leur isolement est plus grand que le nôtre. Ce qu’ils ont besoin c’est d’encouragement afin de persévérer dans ce projet qui n’est pas de tout repos. Leur souvenir de nous heureux et positifs, occupe une grande place dans leur leitmotiv à continuer.
 
Ce soir, j’ai laissé ma fatigue et mes craintes m’envahir et cela s’est reflété quelque peu dans ma voix. Je n’ai pas vraiment été à la hauteur. Shit… Ça n’arrivera plus, j’en fais la promesse 🙂
 
 

Conjoint(e)s de navigateurs

J’aimerais inviter les conjoint(e)s des navigateurs de la Traversée et autres voyages à venir m’écrire et partager avec moi leurs expériences. Nul doute que cela pourra contribuer à diminuer l’isolement que parfois nous ressentons. J’ai bien hâte d’échanger avec vous.