Femme de marin 2013-42: Un chasseur sachant chasser…

Répétez après moi : « Un chasseur sachant chasser doit savoir chasser sans son chien ».

Je suis allée reconduire le Capitaine à l’autobus. Il s’est travesti en chasseur. Après 2 ans d’abstinence, le « call » de l’orignal a résonné dans ses oreilles, et c’est tout guilleret qu’il se dirige vers sa région natale, Rouyn-Noranda. Une retraite fermée, en plein bois, avec l’espérance de rapporter quelque chose à mettre dans le congélateur. Je ne l’envie pas du tout : les mouches, l’humidité, le froid…

Quant à moi, j’ai le cerveau dans la brume après 12 heures en ligne de travail sur la plus grosse révision du programme que notre département universitaire a entrepris depuis 10 ans. Même pas le temps d’aller pisser…

Ça a toujours été comme ça. Quand je travaillais à l’université Laval, je me claquais des semaines de 7 jours à corriger des journaux de bord et à mettre des commentaires personnalisés en espérant que mes étudiants pourraient y trouver matière à réflexion. Travail de moine… Calcul rapide : 26 semaines par an d’enseignement X moyenne de 12 journaux par semaine X une moyenne de 10 commentaires différents par journal X 7 ans d’enseignement = 21,840 commentaires, et tous individualisés. De quoi se faire une tendinite! Et ça vous développe une argumentation critique!

Une de mes forces : ma grande rapidité d’exécution. Ma chum Guylaine m’appelait « Ricochet-va-vite ». Je livrais à la vitesse de l’éclair. Mais avec les années, la madame commence à accuser du recul même si elle est toujours rapide. Autrefois, je me tapais des journées-marathon et je trouvais le tour de sortir en boîte 3-4 soirs par semaine. Le lendemain, j’étais fraîche comme une rose! Aujourd’hui, quand je me lève le lendemain, j’ai un air de déterré! Mon corps se venge… Dur, dur de vieillir parfois.

Discussion avec ma psy :

–          Si je comprends bien, vous êtes moins rapide qu’avant mais demeurez toujours plus rapide que les autres?

–          Euh… oui, mais je suis vidée présentement.

–          Bien, quelle raison votre patron aurait-il de vous fournir une assistante si vous livrez quand même dans les temps?

–          Euh… ouin!

Eh, la bonne femme, t’as 57 ans! Je dois ralentir le rythme, ou plutôt le répartir autrement. Je ne m’ennuie pas de l’ancien temps, loin de là. J’ai été performante, je le suis encore mais ça laisse des marques. Je rêve plutôt d’une job où je me la coulerais douce. Huit ans encore à tirer, mais j’aime à dire que c’est plutôt 6 ans, les deux dernières étant en retraite progressive.

Je me rappelle de mon mentor, Jean Leahey (un homme remarquable), du temps que j’étudiais à l’université, qui m’avait dit un jour qu’il en était à redéfinir ce qu’il voulait faire pour ses 10 dernières années de travail. Son statut lui permettait de faire ça. J’ai atteint le statut de Professionnelle et je m’épuise au travail.

Comme le chantait si bien Dalida, je rêve de « Caramels, bonbons et chocolat », de regarder la mer et me demander quelle sera la prochaine photo que je prendrai, la prochaine toile que je créerai, quel sera le prochain pays que je visiterai, quel visage aura l’enfant de ma fille et comment j’organiserai mon temps pour aller garder le petit ange le plus souvent possible. Des rêves simples, sans fioritures.

Répétez après moi : « Un rêveur sachant rêver doit savoir rêver sans… »

Femme de marin 2013-11: Revoir le Capitaine

J’ai toujours aimé les films du 19e siècle où la fille se voit donnée en mariage à un parfait inconnu et elle en tombe amoureuse (évidemment!) ou encore l’histoire du marin qui part et la femme l’attend avec les sentiments à fleur de peau. Je sais pas pourquoi mais ça vient me chercher à chaque fois. Prenons le film La Leçon de piano qui raconte l’histoire au XIXe siècle d’une jeune femme écossaise que son père envoie avec sa fille de neuf ans en Nouvelle-Zélande pour y épouser un colon qu’elle ne connaît pas. Bon, elle se fait « domper » sans cérémonie sur une plage sauvage et doit attendre le dit mari qui va venir la chercher. S’enclenchent alors des tentatives de rapprochements plus ou moins heureux, si bien que l’histoire a une autre issue (elle finit avec un autre) mais pour moi ce n’est pas tant la fin qui est intéressante que tout le parcours pour devenir une femme libérée et amoureuse. J’aime quand les choses sont douées de sensibilité et d’intuition.

Moi, l’attente, je connais ça! La vie que nous menons fait que même après 10 ans, c’est IMPOSSIBLE de tomber dans la routine avec le Capitaine. Les départs, les retrouvailles et les retours entretiennent la flamme si bien que lorsqu’il ne pourra plus naviguer et qu’il sera tout rabougri dans son fauteuil, je songe sérieusement à l’envoyer faire des séjours réguliers en foyer de retraite, histoire de m’en ennuyer un peu! Paraît que les Résidences Soleil sont vraiment très bien. De toute façon, j’ai vraiment pas envie d’être là quand il pognera les nerfs après une employée de la résidence et qu’il brandira sa canne d’un air menaçant… On ne se refait pas à son âge, hein? Maudit Capitaine Haddock parfois…

Mais un marin, aujourd’hui,  ça ne découvre plus de trésor et ça sent pas toujours la mer! Un marin, c’est comme tout le monde : en vieillissant, ça prend de l’expansion et ça ronfle, c’est souvent fatigué parce que ça a travaillé fort et ça te dort dans la face. Au fond, c’est comme n’importe qui qui prend de l’âge. Et toi aussi, tu suis, tu deviens avec les mêmes manies et t’appelles ça de l’intimité, ou dans le meilleur des cas : de la complicité.

On finit par s’y faire. Quand arrive le temps de partir, on attend qu’il parte, loin, longtemps. On est heureux. Et puis, paradoxe, on finit par s’en ennuyer, et on a hâte qu’il revienne. Entre les deux, on a hâte de le rejoindre. C’est la fête!!!

Je suis une femme de marin. Je m’assume. Dans les années 1900, j’aurais fait des milles à genoux, sur de la vitre cassée, pour boire l’eau de ton bain, mon amour!! Au fond, y a rien qui a changé même aujourd’hui.  Ça n’a rien à voir avec la dépendance; c’est simplement de l’amour… et le désir insoutenable de 2 êtres qui vont vivre de belles retrouvailles.

Plus qu’une semaine!

Femme de marin 2012-6: Lettre d’une femme à son marin

La monotonie de l’absence est peut-être plus difficile que la monotonie de l’habitude d’une présence. Je ne sais pas, je ne me suis jamais lassée de ta présence. Ni de t’attendre d’ailleurs, sinon je ne serais plus là. (Jolane, 3 juillet 2009)

Les femmes de marins sont avant tout des femmes de l’attente. Et quand tu ne seras plus là, j’attendrai de te rejoindre.

Je peux me définir de mille façons. J’ai une vie bien à moi qui fait que j’ai différents rôles. Mais j’aime parler de celui de la femme de marin, cette vie si différente des autres qui me singularise. Les femmes de marins ont-elles une vraie vie? Elles ont une vie différente, voilà.

Tu marches sur la mer et tu déposes tes pénates à bien des endroits mais tu es ancré en permanence quelque part : dans mon cœur. Et ça, tu le sais. J’aime à penser que cela te conforte quand tu es loin. Les départs et les arrivées n’ont jamais rien de monotone, pas plus que la vie à deux parce qu’à chaque fois, il faut la réinventer, l’apprivoiser. La vie de couple pour moi n’a rien de la routine. Et quand tu seras vieux et fatigué, que tes bras ne pourront plus lâcher les amarres, tu pourras toujours retenir les miennes, et il restera tous ces beaux albums que nous avons fabriqués ensemble et qui entretiendront notre mémoire.

Cette grande Bleue, je ne la vois plus comme une rivale parce que je sais qu’elle t’aide à garder les pieds bien sur terre et que tu connais ta chance. C’est vrai que je ne suis pas une bonne moussaillonne, mais je suis une bonne femme de marin : patiente et compréhensive, sage et ordonnée. Non, c’est faux, je ne suis ni sage ni ordonnée, mais je m’efforce de le devenir, parce que le meilleur moyen de te garder est de te laisser aller. Le marin, ce n’est pas moi, c’est toi. Il faut savoir où est sa place dans la vie et l’assumer. C’est fait!

J’ai appris le sens de l’amour en me tenant debout sur un quai, silencieuse et forte comme le sont les chênes devant la tempête. Qu’est-ce qui pourrait bien m’ébranler maintenant, sinon ton absence définitive…

Un coming out, ça vous dit?

Un souvenir: nous sommes en réunion et je suis assise face à ma collègue qui explique quelque chose que je ne saisis pas parce que je suis hypnotisée par sa tête dégarnie. En fait, je ne fixe que ça. Je suis mal, gênée pour elle et je me fais la réflexion que ce serait pire pour moi de perdre mes cheveux que de perdre un sein.

Un autre souvenir : je suis adolescente. Je marche avec ma mère et nous croisons une vieille dame qui porte un turban noué sur le devant de la tête. Je me penche vers ma mère et lui murmure : « Si un jour, tu portes ça sur la tête, je te renie comme mère! ». Cet automne, elle aura 82 ans et je vous jure qu’elle n’en a jamais porté. Qui plus est, lorsqu’elle s’achète une nouvelle coiffe, elle me demande toujours mon impression. On en rigole à chaque fois mais j’ai dû la traumatiser!

Quarante ans plus tard, je cours les boutiques spécialisées et les centres capillaires pour trouver la fameuse coiffe et je sens le poids des années peser sur mes épaules à mesure que ma tête se dégarnit. Eh oui, la vérité c’est que je souffre d’alopécie androgénétique (en mots simples : héréditaire) et pour vous dire franchement, c’est dur sur le système!

Après avoir porté un volumateur (plus communément appelé « moumoute ») pendant quelques temps, je m’étais enfin décidé en septembre dernier à faire le grand saut et à investir dans une transplantation de cheveux, ce qui avait bien marché. Mes cheveux repoussaient et je ressentais la joie indicible de ne plus me taper régulièrement l’entretien harassant d’une prothèse de cheveux humains (brushing et toute la patente). Donc, au début de la nouvelle année, je voyais une amélioration qui était encourageante et qui me satisfaisait même si je ne retrouvais pas l’épaisseur d’avant. Du moment que la repousse cachait le crâne.

Puis, est arrivée l’opération à l’estomac que j’attendais depuis tellement de temps! Je savais que l’anesthésie générale a comme conséquence, 2-3 mois plus tard, de faire perdre des cheveux mais comme j’avais déjà été opérée à quelques reprises dans ma vie, je n’avais pas vu de changement significatif. A l’époque, je ne souffrais pas d’alopécie.  Autre temps, autres mœurs, dit-on….

Parce qu’il faut le dire, c’est dur sur l’image corporelle et sur la féminité. Quand un homme perd ses cheveux, même s’il trouve ça difficile, on a tendance à voir ça sous l’angle de la maturité qui s’acquiert. Je connais beaucoup de femmes qui me disent qu’un homme chauve c’est très sexy. Quand une femme perd ses cheveux, on relie ça forcément à la maladie. Je ne connais pas grand femme qui se rase la tête pour une question d’esthétique… à moins d’être la mannequin Eve Salvail. Les femmes ont une représentation plus holistique de leur corps que les hommes. Elles voient leur corps comme un tout : si une partie est affectée, tout le corps l’est. Bien sûr, la féminité ne se situe pas que dans les seins ou les cheveux. Comme le dit Dahlem Marjorie (Cancer du sein et féminité en soins palliatifs) : « La féminité est un état d’esprit. Chaque femme se réinvente sa propre féminité après chacune des étapes de sa vie ».

Mais comment réinventer une féminité qui est déjà ébranlée à une étape de vie où le corps subit des effritements continus? J’en sais rien présentement. Bien que le cancer soit une maladie terrible, la perte de cheveux liée aux traitements médicaux est, la majorité du temps, temporaire. Dans le cas de l’alopécie, elle est permanente et s’étale sur une longue période. C’est comme un deuil qui ne se résorbe jamais, un constant rappel d’une lutte interminable qui se joue, une peine immense qui vous rebondit en pleine face à tous les matins. La perte de quelque chose d’important pour soi est un déclencheur de chagrin. La perte de cheveux est une remise en question de la femme par rapport à sa féminité car c’est son symbole qui en est atteint. Pour beaucoup d’entre elles (dont je fais partie), l’alopécie est jugée pire que la perte d’un sein.

Donc, depuis un mois c’est l’hécatombe. J’ai tellement perdu de cheveux qu’ils ne sont plus dignes d’une mise en plis. Ma principale activité en dehors du travail est d’aller à la chasse des boutiques spécialisées pour trouver foulards, turbans, chapeaux. Cette semaine, j’ai passé à une étape importante : j’ai fait l’acquisition d’une perruque qui, j’en ai bien peur, ne sera pas un palliatif temporaire mais permanent. Parce que dans mon cas particulier (i.e. alopécie), personne ne peut me garantir que, passés les effets de l’anesthésie (qui peuvent s’étirer jusqu’à un an), mes cheveux repousseront suffisamment pour être présentables. C’est comme si l’anesthésie avait réveillé la calvitie et qu’elle reprenait le temps perdu. Il y aura bien repousse de quelques petits cheveux folâtres mais entre vous et moi, ressentez-vous ce grand frisson de bonheur devant l’image invoquée??? Ne me demandez pas mon avis…

Vous vous demandez sans doute pourquoi je vous conte tout ça? Ce n’est pas pour attirer la pitié, Dieu m’en garde!! C’est que bientôt j’apparaîtrai sur des photos de voyage. Les photos c’est comme un miroir… La majorité de ceux et celles qui me connaissent savent que j’ai toujours détesté avoir quelque chose sur la tête. J’ai jamais eu une tête à chapeau, comme on dit et soudain, on me verra sûrement avec ma perruque,  un turban, un foulard, qui sait…  C’est pas toujours des plus chics…  Une amie m’a déjà dit lors d’un passage à vide : « Tête haute, ma belle ». Alors, c’est ma façon d’affronter ma destinée.

Je pensais être en rémission mais c’était juste une accalmie. Je vis une rechute (le mot est juste!) mais je veux pas passer mon temps à pleurer sur mon sort. J’en suis pas encore là mais c’est mon souhait le plus cher. Le Capitaine me dit qu’il m’aime et j’espère que je serai encore attrayante à ses yeux. L’amour prend un autre visage…

Laisse-moi respirer longtemps, longtemps, l’odeur de tes cheveux, y plonger tout mon visage, comme un homme altéré dans l’eau d’une source, et les agiter avec ma main comme un mouchoir odorant, pour secouer des souvenirs dans l’air.
Si tu pouvais savoir tout ce que je vois! tout ce que je sens! tout ce que j’entends dans tes cheveux! Mon âme voyage sur le parfum comme l’âme des autres hommes sur la musique.
Tes cheveux contiennent tout un rêve, plein de voilures et de mâtures; ils contiennent de grandes mers dont les moussons me portent vers de charmants climats, où l’espace est plus bleu et plus profond, où l’atmosphère est parfumée par les feuilles et par la peau humaine.
Dans l’océan de ta chevelure, j’entrevois un port fourmillant de chants mélancoliques, d’hommes vigoureux de toutes nations et de navires de toutes formes découpant leurs architectures fines et compliquées sur un ciel immense où se prélasse l’éternelle chaleur.
Dans les caresses de ta chevelure, je retrouve les langueurs des longues heures passées sur un divan, dans la chambre d’un beau navire, bercées par le roulis imperceptible du port, entre les pots de fleurs et les gargoulettes rafraîchissantes.
(Charles Baudelaire, 1869. Le Spleen de Paris, Petits poèmes en prose).

Femme de marin 2012-5: Y A DE CES PETITS BONHEURS…

Le vrai secours consiste parfois à laisser l’autre disposer de toute sa solitude, à ne pas, précisément, lui venir en aide… (…) C’est difficile quand vous aimez quelqu’un de ne pas le faire entrer, doucement, dans vos fins. C’est très difficile d’aimer l’autre sans aussitôt le rabattre sur vous, sur vos attentes, sur vos espérances, sur vos goûts.  Mais le mieux que puissent faire ceux qu’on aime c’est de nous décevoir : d’être là où nous ne les attendions pas, de ne ressembler à rien de connu, rien d’espéré. (Christian Bobin, Merveille et obscur).

Je me suis fait discrète ces temps-ci. J’ai préféré « laisser le crachoir » à mon capitaine d’amoureux qui a fini par ouvrir des pans de son journal de bord. Mais faut dire que depuis qu’il a traversé l’Atlantique, je le tanne annuellement pour qu’il écrive plus, parce que moi, je ne peux pas inventer sur ce qu’il a vu. Tout ce que je peux faire est de télécharger sur le site les photos qu’il m’envoie et, la plupart du temps, je n’ai aucune idée de ce que sont les édifices qu’il photographie. Ça devient frustrant à la longue.

Donc, à chaque année, plus le départ approche, plus la supplique s’installe gentiment. Cette année, il a fait un effort suprême et j’ai tout autant plaisir à le lire qu’à l’entendre. Je sais combien c’est difficile pour lui car il n’a pas le verbe aussi aisé que le mien quand il s’agit de le coucher sur papier. On a beau être un pamphlétaire dans l’âme devant les causes qui se multiplient, ça ne fait pas de soi quelqu’un qui excelle dans les autres formes de communication!

Mais ce soir, je reprends le flambeau, le temps d’une chronique. Une fin de matinée dans les retrouvailles d’une chère amie que j’ai trop peu vue depuis la dernière année. Une amitié qui est née en un temps où tout se délestait. Une amitié qui est restée. C’est comme çà. Ça arrive au moment où vous vous y en attendez le moins. Vous êtes seule sur le quai et vous n’en finissez plus de vous dire qu’il faudrait bien rebrousser chemin dans vos terres, mais le temps passe et vous ne bougez pas. Quand vous vous décidez enfin à vous retourner, il y a ce petit bout de femme qui est là, sortie de nulle part. Elle vous salue de la main, se présente et vous sourit. Ce qu’elle dit vous fait rire et vous fait sentir encore vivante. C’est ça la vie : quelque chose qui vient vous extirper de vous-même au moment où vous allez vous enfoncer avec l’immense impression que vous ne pourrez pas remonter à la surface. Un ange passe… et c’est pour le mieux.

De quoi avons-nous parlé déjà? De l’amour, quoi d’autre? De l’amour qu’on omet souvent de se porter à soi-même mais toujours à ceux qu’on aime, même s’ils nous enragent ou nous désespèrent de temps en temps. Des rendez-vous qu’on se donne avec soi-même tout au long de la vie, mais auxquels on oublie parfois de se présenter, trop embourbés dans le difficile appareillage des genres. Parce qu’apprivoiser l’autre, c’est presque aussi ardu qu’être avec soi-même, mais pas autant. Parce qu’apprivoiser l’autre, même si c’est pas de la tarte, ça nous repose franchement de notre petit nombril, parfois. Avouons-le. J’en connais qui passent leur vie à se plaindre qu’ils n’ont jamais de temps pour eux, et lorsqu’ils obtiennent enfin ce qu’ils désirent depuis si longtemps, ils tournent en rond et usent le tapis. Be careful on what you wish…. Donc, on se dit que l’autre est une occupation, bien souvent. Pas tout le temps, mais souvent. C’est plate, mais c’est de même!

Et à force d’être avec quelqu’un, on finit par comprendre que c’est plus qu’une occupation. C’est probablement un beau détour pour revenir à soi, travailler sur soi. Il est là le rendez-vous…

La vie n’est pas dans tel corps, telle figure et telle chose.  Elle n’est pas ici ou là.  Elle est entre ce visage et cet autre visage, entre cette chose et cette autre chose, entre ici et là.  Entre deux, toujours (C. Bobin).

 Aujourd’hui, la vie était là, entre nous deux. Toi, toujours avec ton beau sourire, qui tend la main comme au premier jour. Chesterton disait que les anges peuvent voler parce qu’ils se prennent à la légère. Je crois bien qu’aujourd’hui nos rires nous ont élevées mutuellement… Merci, chère amie!

Femme de marin 2012-4: « La vie à deux a ses périls ; toutes les heures n’y sont pas parfaites. » – Paul Géraldy

Depuis bientôt 9 ans que nous vivons ensemble, voilà cinq années que nous sommes devenus un couple « mi-proche, mi-distance » (j’ai préféré ce terme à celui de « couple en alternance » dont j’ai parlé dans mon article https://maler999.wordpress.com/2012/04/12/lappel-du-large/. Depuis que le Capitaine est à la retraite, nous vivons de cette façon et bien des questions m’ont été posées concernant mon adaptation à ce nouveau style de vie, la question la plus fréquente étant : « Trouves-tu ça difficile? », souvent suivie du commentaire : « Moi, je n’y arriverais pas ».  Au fil du temps, il y a eu bien des variantes à cette question mais jamais personne n’a osé poser une question directe concernant la fidélité, hormis quelques petites blagues du genre : « Loin des yeux, loin du cœur » ou « Une femme dans chaque port » (et un porc dans chaque homme??).

Bon! Ce serait mentir  de vous dire que je n’y ai jamais pensé, que je n’ai passé aucune nuit à me faire du mouron et que je n’ai jamais questionné le Capitaine sur ses rencontres outre-mer. Il serait aussi réducteur de répondre une phrase simple du genre : « Je lui  fais confiance » à moins qu’on veuille dévier une conversation qui pourrait devenir gênante. Il est vrai que l’éloignement est une situation difficile à gérer car la tension est parfois forte (l’autre vous manque, il y a toujours la peur d’être trompé(e) qui rôde, peur d’une rupture car l’autre vit des choses différentes et qui sortent de l’ordinaire). On devient territorial du fait de vivre seul, ce qui peut teinter les visites et les retours d’un sentiment momentané d’envahissement mutuel.

La première chose à se dire – que l’autre soit là ou pas – est qu’on forme un couple. Il faut avoir confiance dans ce lien et tenter de l’entretenir de toutes les façons possibles. En d’autres mots, cela veut dire qu’il faut vouloir investir du temps pour et avec l’autre, même s’il est au loin. Si, au quotidien, chacun des partenaires a besoin de sentir qu’il compte pour l’autre, imaginez lorsqu’un des deux est à des centaines, voire des milliers de kilomètres pendant des semaines ou des mois!

Pour répondre à la question sur la peur de l’infidélité, je peux dire aisément, pour en avoir été moi-même victime dans le passé, que l’infidélité n’a pas besoin de la distance pour s’installer. Il faut donc que le couple ait bâti une confiance mutuelle forte au préalable s’il veut résister à l’éloignement, sinon, les suspicions, les doutes, les reproches, les interrogatoires à outrance vont finir par devenir de la paranoïa et amener une rupture.

Différentes équipes de chercheurs américains dont celles de Clements et Markman (Clements, et al., 1997) et de Gottman (Gottman et Silver, 1999) ont constaté que certaines caractéristiques permettaient en effet, avec une précision assez grande, de prédire les probabilités d’insatisfaction et de séparation. Ils ont constaté que les aspects positifs d’une relation (niveau d’engagement, harmonie sexuelle, intimité, satisfaction, etc.) ne permettaient pas de prédire les probabilités de succès d’une relation. Ce qui semblait prédicteur par contre, était la façon dont les couples réagissaient aux divergences et aux conflits lorsqu’ils se présentaient. Dit autrement, ton couple risque de durer plus longtemps si ta façon de régler les conflits fait en sorte que chacun des partenaires y trouve une relative satisfaction.

Si le bonheur c’est de l’ouvrage au quotidien, l’éloignement fait en sorte de cultiver l’art d’affronter le quotidien « en couple mais seul(e) ». Dans le lien à l’autre, il faut apprendre à communiquer correctement dans la distance car les écrits sont parfois sujets à une mauvaise interprétation; les émotions, lorsque reçues de l’autre côté, peuvent être interprétées aussi comme encore présentes (un cafard passager peut apparaître comme une dépression pour l’autre qui le reçoit). Il ne faut pas aussi tomber dans le piège de la jalousie ou les procès d’intention.

Garder le contact et le bon m’apparaît une tâche plus importante et qui n’apporte guère de repos, tâche qui demande une énergie constante. Cela doit, dans la mesure du possible, se faire au quotidien afin que l’idée de couple ne meure pas. Si un matin en se levant, mon conjoint, pour aucune raison valable, me disait : « Aujourd’hui, je ne te parle pas », ce serait inacceptable. Et cela ne l’est pas moins parce qu’il est loin, en autant que les communications et le lieu le permettent. Il y a des exceptions comme lorsque le Capitaine est en mer ou qu’il est parti dans le désert comme c’est le cas présentement.

En ce sens, il faut savoir choisir ses batailles. La peur de l’infidélité peut, à mon avis, devenir un travail qui se pose à soi-même, travail sur nos peurs bien plus que sur l’amour lui-même (est-ce de la jalousie? Un manque de confiance en soi? De la possessivité? Une volonté de contrôler l’autre sur ses allées et venues?).

Ce qui me manque le plus c’est au fond la présence de l’autre, la chaleur humaine, l’échange avec l’autre et en ce sens, nous nous créons des rituels quotidiens en se fixant des heures de rencontres virtuelles par le biais de Skype, de la caméra où le plaisir d’entendre la voix de l’autre et voir les expressions de son visage peut pallier en partie à ces manques.

On s’entend pour dire que vivre éloignés est rarement un choix. Bizarrement, nous en avons peu discuté car dès notre première rencontre, les dés étaient jetés. Ce projet de vie que le Capitaine entretenait depuis la vingtaine serait mis à exécution dès sa retraite. Malheur à la vilaine créature qui aurait tenté de le détourner de ce dessein! Elle se serait fait jeter dehors manu-militari. C’était comme épouser quelqu’un qui a déjà des enfants. Pour ma part, ce fut comme accepter un homme et sa maîtresse! Cependant, il fut clair de préciser, pour ma part, que c’était l’unique maîtresse que j’acceptais!

La vie ne nous met jamais à l’abri de rien, quoi qu’on en pense, mais en attendant, il faut éviter de se morfondre et réadapter son mode de vie, s’accorder du temps rien que pour soi et ne pas rester cloîtré chez soi à attendre l’appel (d’où l’importance de se fixer des heures de rendez-vous). Il faut savourer les moments seul tout comme on savoure les moments à deux. Il ne faut pas non plus rester dans un doute qui nous empêche de dormir et savoir régler la question dès que possible tout en dosant nos propos. Il faut aussi continuer d’élaborer des projets à deux tout en parlant à l’autre de son quotidien. Il faut aussi planifier et savourer les retrouvailles car elles sont une nouvelle rencontre avec, à chaque fois, les mêmes émotions ravivées.

Il n’existe pas de vie parfaite dans le quotidien à deux, pas plus qu’il y en a dans l’éloignement. Chacun des partenaires amène avec soi le poids de son passé. Comme l’a dit si bien Guy Corneau : « Un nombre incalculable de fantômes du passé peuplent nos chambres à coucher. Hommes et femmes doivent lutter pour ne pas sombrer dans l’archaïsme de relations mère/fils et père/fille qu’ils ont tendance à reproduire dans leur couple ». Il y a dans l’éloignement quelque chose du détachement que je suis en train d’apprendre…

Femme de marin 2011-3: FEMME DE MARIN… FEMME DE CHAGRIN?

« La croyance que rien ne change provient soit d’une mauvaise vue, soit d’une mauvaise foi. La première se corrige, la seconde se combat. » (Nietzsche)

Je dois m’activer et ramasser le bordel qui sévit dans cette maison car depuis que je gère mes problèmes de dos, j’ai dû abandonner la gestion d’autres tâches connexes et qui m’ont toujours paru sans importance, ou du moins secondaires. Oui, donc, ramasser ce bordel car ma petite maman arrive demain pour passer le weekend avec moi.
Être dans ma peau c’est toujours être sur un pont : pognée entre deux rives. D’un côté, l’envie d’habiter une maison pour ne pas me faire chier avec des voisins au-dessus ou en-dessous de ma tête (moi, l’impression de vivre en commune….); de l’autre côté, n’avoir aucune obligation, ce qui est tout le contraire d’avoir une maison. Vivre seule, je n’aurais pas de maison, mais un petit chalet au bord de l’eau… quoique par les temps qui courent et les inondations qui sévissent sur le bord du lac Champlain, ça me refroidit légèrement. L’objectif est de trouver une maison sur un cap de roches, comme dit mon chum : pas d’inondations, certes, mais ça vous rafale dans le toupet sauvagement parfois!

En té cas… La 4e saison du retraité est commencée et ce n’est plus une surprise maintenant. Comme quoi on s’habitue à tout? J’ai changé, j’ai des tas d’exemples qui peuplent ma vie maintenant pour le prouver. Mais je préfère dire que je me transforme (comme le papillon que j’ai dans mon dos), le terme étant moins statique. Et à chaque fois que ça arrive, que quelque chose se prépare, je gueule, je tempête, je vocifère, et à chaque fois, ça m’éloigne de la sérénité. Je sais, je devrais savoir ça depuis longtemps mais c’est plus fort que moi. Peut-être que je me sens vivante de cette façon. Et ça exaspère mon chum, eheheh (bon, chéri, tu ne donnes pas ta place, toi non plus, eh!).

Donc, dans les premiers balbutiements de cette 4e saison, je me retourne un peu pour m’apercevoir qu’il y a eu une évolution. J’aime mieux voir ça comme ça. Être une femme de marin c’est comme enseigner. Lors de ma première année d’enseignement, je me rappelle d’un moment où j’étais paniquée, dépassée par la tâche à accomplir, impuissante à ne pas savoir quoi faire. Guylaine avait écouté patiemment mes jérémiades puis avait commencé sa phrase par un « Tu sais…. » pour marquer une pause (j’étais pendue à ses lèvres, le regard embrouillé et la bouche en contrition). « La première année, c’est l’enfer. Y a rien de pire. La deuxième année, tu t’ajustes et la troisième année, c’est un pet! » Ouin, ouin, que je lui réponds, je voudrais bien avoir ton optimisme. Puis, elle continue : « Et quand tu as tout essayé et que rien n’y fait, bien…. qui mangent de la marde! ».

C’est une des phrases qui m’a le plus remonté le moral dans ma vie et à chaque fois que je sors épuisée de me battre contre moi-même (car on est toujours notre pire ennemi), je finis inlassablement par ressortir cette phrase et c’est ma manière de lâcher prise, ou du moins d’essayer. Bel effort, ma grande!

Donc, 4e saison…. Si j’applique le principe de Guylaine, je devrais être sur le point de m’en foutre (pour rester polie) mais comme je vous l’ai dit précédemment, j’ai la sérénité ardue. Par contre, je ne suis plus une femme de chagrin comme je l’étais au début. Mes propres deuils se font doucement, je n’essaie plus de faire semblant d’être forte parce que les émotions sont plus que jamais connectées aux hormones fluctuantes de la ménopause. Alors, il y a des jours de soleil, des jours d’ombre et des jours de noirceur. Un jour qu’on demandait à Ginette Reno sa définition du bonheur, cette dernière répondit : « Le bonheur c’est des bonnes heures. En vieillissant, j’essaie d’accumuler le plus de bonnes heures possible ». Qui les calcule, dites-moi?

C’est comme l’autre jour lorsque j’ai parlé un peu avec toi. En fait, c’est plutôt toi qui m’écoutais débouler des tas de trucs et bla, bla, bla… Un moment donné, tu as dit qu’à cette époque, tu avais été une enfant plutôt exubérante. Ca m’a retournée 20 ans en arrière : flashs de bons souvenirs avec les amies et flashs de cauchemars aussi parce que pour moi c’était une époque de turbulences extrêmes.

Je ne m’attendais pas à ce que tu dises cela, alors j’ai baragouiné je ne sais plus quoi, mais j’ai senti dans ta voix une gêne, comme une honte. Et ce que je n’ai pu te dire à ce moment-là, je l’écris ici : « Écoute-moi bien, ma petite chérie. Tu n’as pas à t’excuser de l’enfant que tu as été; c’est nous, ta mère et moi, qui n’étions pas des mères faciles. Nous étions si dépourvues de ressources sous l’apparent échafaudage de maquillage. Nous étions des vaisseaux d’or, certes, mais perdus sur une mer déchaînée que nous n’arrivions pas à calmer. Vos cris, aussi exaspérants puissent-ils avoir été, étaient une tentative de nous réveiller à la vie. Maintenant, nous devons apprendre à vivre avec la tristesse de vous avoir emportées, malgré vous, dans nos tourments, mais aussi la fierté de vous savoir fortes et fragiles à la fois, ce qui fait toute votre beauté et votre unicité. Nos bateaux se sont souvent échoués et nous avons perdu bien des cargaisons, mais la vôtre, la plus précieuse, demeure. »

Si on veut vivre sainement, il est préférable de se rappeler les bons souvenirs, trouver la force d’oublier les ombres du passé et se recréer soi-même. Consentir à renoncer.

Serge prendra toujours la mer, et je n’aimerais pas constater un jour que de mon côté, je n’ai fait que chanter l’amer…. J’ai choisi cette vie et il serait temps qu’à 55 ans, je l’assume.