Femme de marin 2014-18: Le fil d’Ariane

C’est de ta voix dont je suis tombée amoureuse en premier, de ton regard ensuite. Toi qui n’aimais pas vraiment écrire, tu étais pris à déballer les mots pour soutenir mon intérêt puisqu’au début, je n’étais pas pressée de te rencontrer en personne. Quand quelqu’un s’inscrit sur un site de rencontres, il doit fournir à tout le moins un minimum d’efforts pour se démarquer du lot, n’est-ce pas?
Dieu merci, nous n’étions pas encore à l’ère des textos où les phrases écourtées et les symboles stupides s’alignent pour former un semblant de discussions! Nous avons eu de vraies conversations épistolaires et te connaissant mieux maintenant, j’imagine facilement que cette période a dû être un peu une épreuve dont tu souhaitais une fin rapide pour passer à l’étape du face-à-face dans laquelle tu te sentais plus à l’aise.
Moi qui relevais d’un certain nombre d’échecs amoureux, je n’étais guère en urgence de quoi que ce soit. Quand j’ai consenti à recevoir tes appels, c’est une voix chaude et intéressée qui m’accompagnait tous les soirs jusqu’à ce que la batterie de mon téléphone me lâche. Ce qu’on a pu s’en conter des choses…
Et il y a eu enfin cette rencontre un matin de janvier glacial, dans un petit restaurant sans chauffage. Nous y étions seuls à nous raconter des vies de gens ordinaires qui vivaient un moment extraordinaire. Nous le savions déjà. Toi qui n’avais qu’une envie : me réchauffer, et moi, amusée à t’observer glisser ton doigt sur tes lèvres comme des micro-caresses m’indiquant que tout ce que je disais à ce moment-là était d’une extrême importance à tes yeux. Ce signe d’intérêt, je le vois encore de ta part après dix années de fréquentations et je dois avouer que cela me réconforte. J’aime me rappeler ça dans mes moments de solitude. Déjà, nous avons des souvenirs à profusion…
Je ne veux pas ici prétendre que les couples qui vivent toujours dans la proximité ne s’épanchent plus après tout ce temps, mais je sais qu’avant toi, je finissais toujours par enfermer mes sentiments dans un cocon à l’abri parce que j’estimais, peut-être à tort, qu’il ne servait plus à rien de dire des choses que l’autre savait déjà de toute façon (du genre : « Je t’aime » – « Ben oui, je le sais »)… Des sentiments qu’on finit par banaliser ou par considérer comme des futilités. Et puis, on finit aussi par faire le deuil de ce qu’on aimerait que l’autre nous dise, comme une cour perpétuelle qui n’arrive que dans les films, et qu’on n’arrive pas à exprimer dans la réalité. On finit par se faire vieux et devenir sage.
Et je pense que parfois l’éloignement est une bénédiction, même s’il m’arrive de souffrir de ton absence non pas au sens littéral du terme, mais parce tu me manques : ta présence, tes rires, tes réflexions songées, tes conneries aussi, ta façon toute spéciale de te moquer de moi en me faisant voir comment je peux être inconséquente parfois. Mais c’est à charge de revanche parce je fais pareil!!!

Oui, je ne sais pas si c’est l’éloignement qui fait ça mais avec toi mes portes s’ouvrent (même si parfois je les fais grincer un peu) et j’arrive à m’épancher et entretenir le jardin que nous avons créé. Bon, il y a des mauvaises herbes parfois, mais le terreau est fertile. Sur les photos que tu m’envoies, j’observe ce qui m’indique que tu es heureux, en paix. Un homme qui a réussi sa vie. Et j’aime à penser que j’y suis un peu pour quelque chose.
Je ne pourrais plus envisager une vie de couple autrement qu’en tissant patiemment, par des petits mots qui s’enchaînent dans les chroniques, des pensées qui voyagent au-dessus de la mer, le fil qui nous relie.

 

Femme de marin 2014-17: Ce que j’ai appris de l’éloignement…

J’ai besoin d’être séparé de toi par un désir qu’il m’est impossible d’assouvir d’un claquement de doigts. Tu ne peux pas m’être plus proche qu’en restant ma première destination » Laurent Girerd. Brève apologie de l’éloignement conjugal

 

  • « Le couple moderne, fondé sur le partage de sentiments, est extrêmement récent. Jusqu’au XIXe siècle, le couple est avant tout une institution économique, censée rapprocher, via le mariage, deux patrimoines familiaux » (Florence Mottot). Maintenant que le couple se choisit selon des affinités et des attirances, je trouve qu’il est tout aussi difficile de vivre à deux, sinon plus. On ne sait plus jusqu’où on peut s’engager sans risquer d’y perdre des plumes. On négocie les droits, les devoirs, les contributions de chacun… J’ai appris qu’il faut faire preuve de beaucoup d’humilité et d’ouverture de soi pour former un couple durable.
  • Que l’amour est avant tout un champ de vision et qu’il faut en prendre soin et l’entretenir si on ne veut pas que l’autre sorte de ce champ de vision sans qu’on ait rien vu venir. Et même malgré tous ces efforts, ça peut arriver…
  • Toute relation d’amour est une relation à risques et l’éloignement n’est pas le plus grand risque qu’on peut prendre dans la vie de couple. Le plus grand, à mon avis, est de montrer sa vulnérabilité à l’autre.
  • Qu’on doit toujours avoir de l’admiration pour l’autre malgré les années qui passent et que cette admiration entretient la passion qui prend des visages différents avec le temps.
  • Qu’arrive indéniablement le temps de faire ses propres deuils de la relation idéale, du soi idéal et de l’autre idéal si on veut que le couple continue.
  • Qu’il est normal que les doutes surgissent et que les questions fondamentales se posent. C’est même essentiel à la survie d’un couple. Comme disait Christian Bobin : il faut poser des questions que les réponses ne viendront jamais endormir.
  • Que lorsque la complicité est présente, la distance n’altère en rien le lien qui nous unit à l’autre.
  • Que le Capitaine est quelqu’un de fondamentalement libre au sens où il a sa propre conception de la vie et qu’il est vrai avec lui-même; et que cette attitude a renforcé la mienne.
  • Que pour amener un couple dans la durée, il faut accepter de faire avec ses différences.
  • Que lorsqu’on termine une conversation, il faut la quitter avec des mots d’amour car on ne sait pas ce qui peut arriver dans l’avenir.

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Femme de marin 2014-16: Vous avez dit « Doute »??

Aujourd’hui est une journée moche, une journée de doutes, comme il y en a parfois….

Je suis assise avec mon ancien patron et une ancienne amie qui, dans mon rêve, travaille à la même place que moi. Mon patron distribue les responsabilités et les dossiers et fait comme si je n’étais pas là, comme si je n’existais pas. Je me réveille amochée et triste. Vous allez dire : « Ah, oublie ça. Ce n’était qu’un rêve! ». Ben non, ce n’est pas qu’un rêve. C’est la transposition de ce que je vis et ressens depuis quelques années au boulot. Un sentiment d’abattement qui a fini par me gagner après tant de luttes et d’espoirs déçus. Le soldat est fatigué…

Dehors, le temps est gris et à la pluie. Je suis toujours dans l’attente : attendre qu’il fasse beau et chaud, attendre des nouvelles du Capitaine ou une nouvelle position GPS pour voir sa progression, attendre un poste qui m’apporterait de nouveaux défis, attendre que l’inspiration vienne, attendre…. Mais détromprez-vous, je n’ai pas l’attente passive : je me débats comme un diable dans l’eau bénite et je suis loin d’être sanctifiée!!!

La vérité c’est que j’y ai perdu beaucoup de mon énergie à la longue. Ça a fini par gruger ma santé physique et mentale (Mais non, je suis pas folle; juste harassée). Autrefois, j’avais « le vin triste » comme on dit; maintenant, je ne suis même plus obligée d’en boire pour être dans cet état.

Aujourd’hui est une journée moche, une journée de doutes, comme il y en a parfois….

Bon, le Capitaine est parti depuis seulement 18 jours. Je suis donc encore dans mon mois de mélancolie post-départ habituel (donc dans la norme, c’est permis). Je vais me donner ça comme excuse pour alléger ma tristesse. Enclencher des choses, un nouveau cycle, demande de l’énergie et j’en ai peu. Mais vous ne savez pas tout ce que j’ai fait pour m’en sortir. Je vous l’ai dit : un diable dans l’eau bénite, ça se démène en maudit, ça!! Un diable, c’est digne d’un exorciste parce que ça déplace de l’air et que c’est pas toujours joli à voir!

Le Capitaine avance et parfois je pense que moi, je rame dans le sens contraire et que c’est pour ça que je suis épuisée. Compte tenu de ma santé, je suis entrée dans l’ère du lâcher prise et c’est peut-être ce qui explique aussi la grande fatigue. C’est quand on relâche les muscles qu’on sent toute la tension qu’on y avait mise. Me semble que je me coucherais sur un radeau et que je me laisserais aller n’importe où. Une sorte de « knowhere » purgatif….

Aujourd’hui est une journée moche, une journée de doutes, comme il y en a parfois….

C’est ça que j’avais écrit dans ma dernière chronique : que le doute s’installe parfois confortablement et qu’il faut se battre avec toute l’énergie du désespoir (ou de l’espoir, c’est selon) pour le sortir à coup de pied au cul de chez soi. Toutes sortes de doutes : sur moi-même, sur ce que je vaux, ce que je peux encore apporter et sur le but de mon utilité sur terre parfois…

Mais des doutes, je n’en parle jamais. Mes chroniques consistent généralement à parler de mon lien avec le Capitaine et combien il me manque. Les gens voient une femme solide et se demandent comment je fais. Moi aussi, je me demande parfois comment je fais… Mais j’en parle jamais parce que je ne veux pas inquiéter personne : l’entourage, le chum, la famille, les amis. Parce qu’il y a toujours quelqu’un pour se mettre en mode solution : « Tu devrais faire ci…. As-tu essayé ça? ». Les gens veulent être rassurés sur votre compte pour passer à autre chose, leurs choses. Alors, tu ne dis rien, tu gardes ça pour toi pour ménager leurs doutes à eux…. Et pendant ce temps sur les réseaux sociaux, tout le monde a l’air d’avoir une vie tellement plus excitante que la tienne!!

Aujourd’hui est une journée moche, une journée de doutes, comme il y en a parfois….

Ça arrive, c’est la vie. Des hauts et des bas… Je vais aller déjeuner et j’irai alléger mon portefeuille aujourd’hui, histoire de me faire plaisir et ménager mes doutes…

Femme de marin 2014-15: Du paradoxe amoureux dans la distance

« Si la volupté de l’amour est de ne plus s’appartenir, la volupté du Moi est de ne jamais s’abandonner »

Qu’avaient en commun Juliette Drouet et Victor Hugo, Héloïse et Abelard, Musset et George Sand, Gala et Eluard, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir? Et plus récemment, Jacques Dutronc et Françoise Hardy, de même que Michèle Annie Potier et Serge Lama? Ils formaient des couples qui ne vivaient pas ensemble.

D’après des statistiques récentes, 3 millions de couples mariés aux États-Unis ne vivent pas ensemble [i], tandis que près de 4 millions de couples de Français ne vivent pas sous le même toit [ii]. Quant aux Canadiens, le nombre de couples qui ne vivent pas ensemble diminuerait depuis 2001, et environ 5 % des couples québécois choisissent, à long terme, de ne pas vivre sous le même toit.

J’ai déjà parlé dans mes chroniques des relations à distance mais j’aimerais y revenir car de toutes les lectures et recherches que j’ai faites, le seul cas de figure s’apparentant au mien est celui des femmes de marins (marine marchande et militaire) qui doivent assumer les responsabilités familiales lorsque le conjoint est au loin pour son travail (Il y a peut-être d’autres cas de figure mais je ne les ai pas trouvés sur le Net). Personnellement, je ne connais qu’un couple dont le conjoint a décidé de partir avec son voilier durant 3 ans et ce n’était certes pas dans les mêmes conditions psychologiques que les nôtres. Alors qu’il était clair et accepté dès le départ de notre relation que le Capitaine partirait 4 à 5 mois par an naviguer au loin à sa retraite, le couple en question a dû vivre cette adaptation dans le désaccord, après 30 ans de vie commune. Pour avoir discuté avec la conjointe, celle-ci n’envisageait pas du tout cette avenue et vivait difficilement le choix de son époux de partir au loin. Il lui a fallu beaucoup de temps pour vivre cette situation avec une certaine sérénité. J’imagine aisément que lorsqu’un couple vit ensemble depuis longtemps, les projets de retraite s’envisagent ensemble et non séparément. Ça doit être tout un choc lorsque l’autre met en application un projet malgré notre désaccord. Ça doit aussi être insécurisant quant à l’avenir qu’aura son couple.

Malgré le fait que j’aie retrouvé peu de correspondance dans les écrits avec mon vécu personnel, il y a par contre certaines indications qui sont similaires.

D’abord, vivre un couple dans la distance demande une grande maturité affective. Dans un article de la journaliste Katia Mayrand [iii], paru dans Coup de Pouce, la psychologue Micheline Dubé dit ceci : « Quand on n’habite pas avec son conjoint, il faut avoir une grande confiance en soi et en l’autre, encore plus que si on vit ensemble. Le fait de ne pas avoir l’autre à l’œil et de ne pas le voir tous les jours peut créer un grand sentiment d’insécurité. C’est essentiel d’avoir une communication franche et honnête et d’être capable de laisser l’autre exister, tout en partageant des bouts de vie ». Mais pour avoir été trompée dans le passé par des hommes avec qui je vivais 365 jours par année, je sais que la cohabitation quotidienne peut créer un faux sentiment de sécurité…

À mon avis, ce n’est pas tant ce sentiment qui est garant de la durabilité d’un couple mais plutôt d’un ingrédient essentiel qui est l’engagement et qui, à long terme, se traduit par l’envie de faire des efforts constants pour maintenir la relation. En d’autres mots, LA question n’est pas de savoir si j’aime toujours et encore le partenaire que j’ai choisi autrefois, mais plutôt de savoir si je veux que ça marche ou pas!! Et si on veut que notre relation fonctionne, nous allons devoir nous faire mutuellement confiance.

D’autres parleront d’intimité qui, à mon avis, ne se construit pas tant dans le sentiment de proximité physique que dans la conviction profonde qu’on est connecté avec l’être aimé, connexion qui va au-delà des frontières.

Bien sûr, si je choisis de vivre une relation à distance, je choisis un partenaire qui répond à ce critère relationnel et pour qui la qualité de relation est importante, d’autant plus que la distance sera un test pour savoir si ça passera ou ça cassera. Très tôt, nous avions des commentaires de notre entourage qui nous décrivait comme un couple dont l’intimité était surprenante pour deux personnes qui venaient à peine de commencer leurs fréquentations. C’est d’ailleurs une des choses qui me sécurisent le plus chez le Capitaine : sa constance et sa fiabilité, peu importent les aléas de la vie. Le chéri est bien ancré dans mon coeur!

Toute relation amoureuse parle deux langues : celle de l’engagement et celle de la libre disposition de soi [iv]. Même si on est moins porté à sentir la lourdeur du quotidien lorsqu’on vit seul, paradoxalement il faut avoir la certitude de faire partie de la routine de l’autre, d’où l’importance de trouver des moyens d’échanges et de communications afin de réduire la distance physique qui nous sépare. Dans les échanges quotidiens, il faut pouvoir parler de ce qu’on vit, de ses petits bonheurs comme ses petits malheurs. Être engagé dans une relation c’est être présent pour le partenaire; demeurer positif, certes, mais si je ne requiers jamais son opinion, ses suggestions et solutions dans ce que je vis, il va réaliser en bout de ligne que je n’ai pas besoin de lui.

Une étude internationale [v] contredit l’adage populaire « Loin des yeux, loin du cœur ». En d’autres mots, l’étude révèle que, contrairement à ce qu’on pourrait croire, les relations de couple à distance apporteraient autant, voire davantage, de satisfaction et de communication que dans les relations impliquant la proximité géographique des partenaires. On constate que plus d’efforts sont mis dans l’intimité et la communication, domaines souvent négligés par les couples qui vivent toujours ensemble. Comme on dit : l’éloignement entretient la flamme.

Mais il n’y a pas que des avantages dans la relation à distance. Quand on aime profondément son partenaire, l’absence est pesante et les coups de blues de même que le doute s’installent parfois bien confortablement sans avoir été invités au préalable. Nul doute que le manque et la distance exacerbent les sentiments. Une relation à distance est d’autant plus difficile qu’elle nous met à l’épreuve, mais pour avoir vécu 5 vies de couple avant la présente avec le Capitaine (eh oui!!), je sais qu’il est des épreuves bien pires que la distance physique dans un couple!

Je sais, pour avoir reçu les commentaires de nombreuses personnes autour de moi, qu’une relation à distance fait très peur et que beaucoup se disent incapables de vivre et d’accepter une telle situation, mais une relation à distance n’est pas si différente d’une relation ordinaire, quand on y pense. Toute relation demande une certaine somme d’efforts, de la communication, des compromis, de la patience, de l’empathie.

Être dans la distance permet cependant de redéfinir le lien amoureux, de questionner notre désir d’être avec l’autre, la façon dont on pallie aux manques et la signification de ce que l’autre représente dans notre vie (le pourquoi on l’a choisi). Ce qui est à souhaiter c’est que ces questionnements ne soient pas uniquement présents  que dans ce type de relations.

[i] Alberganti, Michel. Les relations à distance favorisent l’intimité dans le couple. www.slate.fr.19-07-2013.
[ii] Solignac, Morgane, Couples qui ne vivent pas ensemble : un phénomène de société? Www.plurielles.fr, 28-07-10.
[iii] Mayrand, Katia. Chacun chez soi! Revue Coup de pouce, 21-10-2008.
[iv] Bruckner, Pascal. Le paradoxe amoureux. Posté par Simone Manon le 6 février 2010 sur www.philolog.fr.
[v]L. Crystal Jiang, Jeffrey T. Hancock. Absence Makes the Communication Grow Fonder: Geographic Separation, Interpersonal Media, and Intimacy in Dating Relationships. Journal of Communication, 2013; 63 (3): 556 DOI: 10.1111/jcom.12029

Femme de marin 2013-14: Oh Capitaine, mon Capitaine!

Fébrilité, quand tu nous tiens! Les vacances, c’est génial! Quand, en plus, on s’apprête à réaliser un rêve (voir Venise et Florence), c’est encore mieux. Et si, au surplus, c’est pour aller rejoindre la Capitaine adoré, c’est le paradis!

Visite chez le coiffeur puis enregistrement en ligne, check! Début du « montage » de la valise selon les conseils de ma chère Lili et dégustation d’un petit vino tranquilo en savourant mon début de vacances.

Le Capitaine a changé de marina car où il était c’était suffisamment loin de Venise pour que le transport jusqu’à l’aéroport lui coûte 150 euros! Il est maintenant à Isola di Sant’Elena  qui fait partie d’un des six sestières, quartiers historiques de Venise. Probablement plus cher que le précédent endroit, mais nous économiserons sur les différents transports, car je veux visiter l’île de Murano (renommée pour le soufflage du verre), l’île du Lido (site de la Biennale de Venise qui se tient présentement) et l’île de Burano (connue pour sa dentelle et ses canaux bordés de maisons vivement colorées).  Nos transports seront également facilités pour aller à Florence et dans d’autres endroits dans le nord de l’Italie.

Il y a aussi les Dolomites que nous voulons visiter. Les Dolomites sont un massif des Préalpes orientales méridionales. Elles tirent leur nom de la « dolomite », roche calcaire d’origine marine. Le point culminant du massif, la Marmolada, fait 3,343 mètres d’altitude. Depuis 2009, les Dolomites sont inscrites au patrimoine mondial de l’UNESCO. Ça promet d’être impressionnant à voir!

Cette année, je me suis plus ennuyée de l’absence du Capitaine, fouillez-moi pourquoi! J’ai appris à fonctionner par cycles : le cycle où il y a la fébrilité du départ tant pour le Capitaine que pour moi. Forts d’avoir passé l’automne et l’hiver ensemble, nous avons eu le temps de nous retrouver, de nous réadapter à la vie commune, de s’être tombés mutuellement sur les nerfs et d’avoir hâte de partir pour lui et moi d’être seule dans ma tanière afin de la mettre à ma main. Puis arrive le cycle de l’adaptation à revivre en solitaire, la mélancolie de me retrouver seule dans un grand lit puis l’habitude de m’y faire. Le troisième cycle est la fébrilité des retrouvailles, les retrouvailles puis la découverte de nouveaux pays ensemble. Le quatrième cycle est le retour de vacances et le comptage des dodos jusqu’à ce qu’il revienne. Le cinquième cycle est le retour du Capitaine, la période de réadaptation de la vie à deux, le plaisir de faire des choses à deux et d’avoir une vie sociale plus active.

Cette année, la mélancolie de son absence ne m’a pas quittée même si nous nous parlons à tous les jours. Pourtant, je me sens bien, pas dépressive et confortable avec la vie d’une femme de marin. Ça doit être les hormones! Force est de constater qu’après 10 ans, l’amour est toujours aussi vivant entre nous. La complicité demeure au rendez-vous et je ne vis plus les séparations comme des fatalités depuis belle lurette. J’y ai trouvé un style de vie qui me convient, le meilleur des deux mondes. Le Capitaine a été une bénédiction dans ma vie, malgré son caractère impétueux sur lequel il travaille avec ténacité, je dois avouer.

Je le sais en train de préparer amoureusement mon arrivée, mon espace dans le bateau et ça fait chaud au cœur.

Oh, Capitaine, mon Capitaine! J’aborderai tes rivages sous peu et le ciel n’en sera que plus étoilé…

Femme de marin 2013-11: Revoir le Capitaine

J’ai toujours aimé les films du 19e siècle où la fille se voit donnée en mariage à un parfait inconnu et elle en tombe amoureuse (évidemment!) ou encore l’histoire du marin qui part et la femme l’attend avec les sentiments à fleur de peau. Je sais pas pourquoi mais ça vient me chercher à chaque fois. Prenons le film La Leçon de piano qui raconte l’histoire au XIXe siècle d’une jeune femme écossaise que son père envoie avec sa fille de neuf ans en Nouvelle-Zélande pour y épouser un colon qu’elle ne connaît pas. Bon, elle se fait « domper » sans cérémonie sur une plage sauvage et doit attendre le dit mari qui va venir la chercher. S’enclenchent alors des tentatives de rapprochements plus ou moins heureux, si bien que l’histoire a une autre issue (elle finit avec un autre) mais pour moi ce n’est pas tant la fin qui est intéressante que tout le parcours pour devenir une femme libérée et amoureuse. J’aime quand les choses sont douées de sensibilité et d’intuition.

Moi, l’attente, je connais ça! La vie que nous menons fait que même après 10 ans, c’est IMPOSSIBLE de tomber dans la routine avec le Capitaine. Les départs, les retrouvailles et les retours entretiennent la flamme si bien que lorsqu’il ne pourra plus naviguer et qu’il sera tout rabougri dans son fauteuil, je songe sérieusement à l’envoyer faire des séjours réguliers en foyer de retraite, histoire de m’en ennuyer un peu! Paraît que les Résidences Soleil sont vraiment très bien. De toute façon, j’ai vraiment pas envie d’être là quand il pognera les nerfs après une employée de la résidence et qu’il brandira sa canne d’un air menaçant… On ne se refait pas à son âge, hein? Maudit Capitaine Haddock parfois…

Mais un marin, aujourd’hui,  ça ne découvre plus de trésor et ça sent pas toujours la mer! Un marin, c’est comme tout le monde : en vieillissant, ça prend de l’expansion et ça ronfle, c’est souvent fatigué parce que ça a travaillé fort et ça te dort dans la face. Au fond, c’est comme n’importe qui qui prend de l’âge. Et toi aussi, tu suis, tu deviens avec les mêmes manies et t’appelles ça de l’intimité, ou dans le meilleur des cas : de la complicité.

On finit par s’y faire. Quand arrive le temps de partir, on attend qu’il parte, loin, longtemps. On est heureux. Et puis, paradoxe, on finit par s’en ennuyer, et on a hâte qu’il revienne. Entre les deux, on a hâte de le rejoindre. C’est la fête!!!

Je suis une femme de marin. Je m’assume. Dans les années 1900, j’aurais fait des milles à genoux, sur de la vitre cassée, pour boire l’eau de ton bain, mon amour!! Au fond, y a rien qui a changé même aujourd’hui.  Ça n’a rien à voir avec la dépendance; c’est simplement de l’amour… et le désir insoutenable de 2 êtres qui vont vivre de belles retrouvailles.

Plus qu’une semaine!

Femme de marin 2013-6: C’est juste des émotions, c’est pas une dépression!

Sister est venue me voir en fin de semaine et nous avons eu une conversation intéressante sur les émotions vécues lorsqu’un des conjoints est parti au loin pour un long moment. La conversation concernait surtout l’étalage de ces émotions sur mon blogue  (les chroniques concernées viennent d’être rebaptisées  Femme de marin…) et de l’effet que la lecture de ces chroniques a sur certaines personnes. Sister parlait surtout de la façon dont elle recevait mes propos mais aussi des commentaires que Mother lui faisait parfois. Il faut dire aussi qu’il m’est arrivé (pas souvent, heureusement) d’avoir des commentaires d’autres personnes qui démontraient une légère inquiétude sur l’état de mes humeurs.

Peut-être que mes propos traduisent mal mon esprit au moment où ils le traversent.  Bon… je ne m’attends pas à ce que tout le monde comprenne de façon empathique ce que je ressens mais je crois (déformation professionnelle) que pour faire comprendre le vécu d’une expérience, il faut en parler! J’ai toujours cru aussi que le pouvoir soulageant de se reconnaître dans l’expérience de l’autre permet de s’approprier la nôtre. Quand j’ai commencé à écrire mon blogue, j’ai cherché en premier s’il existait quelque chose de similaire sur le Net et je n’ai presque rien trouvé. Bon, c’est pas parce qu’on ne voit rien que ça existe pas! Donc, je construis à mesure, j’y vais au feeling.

Prenons les cartes marines : elles vous donnent de précieuses indications sur les sondes et la profondeur de l’eau, les dangers comme les récifs, les hauts-fonds et les épaves, la signalisation maritime et les amers. Mais en aucun temps, elles ne sauraient vous renseigner sur les conditions météo lors de votre traversée (il vous faudra un autre outil pour ça) et sur l’état de votre esprit et la force psychologique que ça vous prendra pour affronter les intempéries et les imprévus. Il en est de même pour l’expérience de vivre séparé du conjoint. On sait qu’en théorie le Capitaine reviendra et qu’on devra traverser cette attente sans lui mais les fluctuations émotives suivent le flow et ne sont jamais prédictives. Tenter de garder le cap, sans plus…

La discussion avec Sister m’avait laissé une vague impression que peut-être je faisais grand étalage de cette partie de mes émotions… J’ai donc fait un petit recensement et j’ai été étonnée. Depuis l’ouverture du blogue : 425 articles publiés. Sur ces 425, le Capitaine a écrit 57 chroniques (soit 14 % des écrits) tandis que j’ai pondu le reste soit 368 articles. Sur ces 368 articles, seulement 7 % ont été consacrés au couple tandis que le 93 % restant sont des chroniques de voyages ou d’humeur générale.

Seulement 7 %… Y a toujours ce petit moment où j’hésite entre « est-ce que j’écris ça ou non? », où je me demande si les gens vont interpréter ma nostalgie comme des sentiments forts entre deux personnes ou une manifestation extérieure que « ça va dont pas pour la pauvre Mado! ». L’idée des chroniques est de rendre compte de l’évolution d’une expérience au fil des années, sans toutefois la généraliser à toute personne qui en vit une similaire. Il s’agit plutôt de préserver son caractère unique et particulier. Qu’est-ce qui tisse un lien et le maintient? La distance renforce-t-elle ou diminue-t-elle ce lien? Quelles sont les caractéristiques des personnalités qui sont les plus enclines à supporter ce type d’expérience? Quelles couleurs prennent les concepts « éloignement », « confiance », « couple », « fidélité », « engagement » avec le temps?  Très heuristique en bout de ligne…

Mais pour le moment, je suis encore dans ma phase où les contacts physiques avec le Capitaine me manquent énormément. Sa voix me manque, ses bras me manquent, ses baisers me manquent… et tout le reste me manque. La phase la plus dure jusqu’à ce qu’on se retrouve. Et le Capitaine qui m’écrit régulièrement que ça s’en vient. Isn’t that cute??

A défaut de sa présence, je viens de me taper les 5 saisons de Sons of Anarchy et j’ai jeté mon dévolu sur Tig Trager (interprété par Kim Coates, six pieds deux, les yeux bleus, ça rend heureux!) et sa Harley Davidson Dyna Street Bob 2006, superbe engin qui me rappelle certains souvenirs de jeunesse que je tairai par discrétion naturelle… Là, vous vous demandez de quel engin je parle, hein??? Petits vicieux!!!

Tig me tient compagnie… Cinq semaines encore avant que j’aille m’affaler dans une gondole à Venise à tes côtés et je te jure, Capitaine, Tig n’aura plus aucune importance!

Femme de marin 2013-5: SDF

Je parle souvent en lien avec le Capitaine : le capitaine parti, le capitaine là… comme si je n’avais pas de vie ou que ma vie se résumait à une attente à la fenêtre, à regarder un quai désert, ou une attente dans une salle d’attente pour surmonter la maladie comme on surmonte une tempête.

 Il y a tous ces soupers pris toute seule, dans le silence de la maison, un verre de vin pour me donner de la force (une chance que je n’ai pas de tendances alcooliques!) et la télé ouverte pour m’apporter une présence (à moins que je parle seule et tout haut, simulant un dialogue avec un ami imaginaire). On pourrait me croire folle. Et quand je pense à mes amies et ma fille de qui je m’ennuie, j’ai parfois le vin triste… Je suis pas le genre à m’imposer.

 Je me concentre sur des petits riens qui meublent ma journée, petits moments de bonheur glanés ça et là : un déjeuner fait de crêpes maison, un 2e café fumant, un courriel du Capitaine, des cours de photo ou du temps passé à faire une mosaïque ou une toile, un bon film à la télé, une razzia chez Jean Coutu…

 J’ai fait le deuil d’une vie d’exaltation, d’une vie aux attentes irréalistes. L’heure avant l’heure c’est pas l’heure, l’heure après l’heure c’est pas l’heure; l’heure, c’est l’heure. Ce qui veut dire qu’il faut tenter de vivre le moment présent pour ce qu’il est, ni plus ni moins. Moi qui ne suis pas douée pour ça, ça égratigne des fois. Les gens voient les voyages du Capitaine et me font la réflexion que NOUS avons une vie excitante… Elle n’est hors du commun que parce que je vis avec le Capitaine. La mienne est si simple, ponctuée par un talent pour l’écriture qui me fait embellir le fond le plus banal.

 Le Capitaine est parti depuis 15 jours et je suis dans la phase d’ennui du Capitaine où je balance entre « shit, que c’est long! » et « vivre seule c’est super ! ». Le plus emmerdant c’est que je ne sais jamais combien de temps cette phase va durer. À chaque année, c’est une nouvelle adaptation mais ce n’est plus une épreuve, comme j’ai dit dans un article précédent. Juste une étape emmerdante.

 J’ai baptisé cette étape SDF : Pendant que le Capitaine est Sur Domicile Flottant, moi je suis présentement Sur Déprime Fugace, ce qui veut dire que ce n’est que temporaire, tout comme la neige qui tombe encore aujourd’hui. On a beau se dire que ça ne va pas durer, quand c’est là c’est drôlement chiant!

 Hâte de voir les Sacoches et ma fille, de les serrer dans mes bras, de rire non pas seule mais avec quelqu’un…

Femme de marin 2013-4: Rendez-vous doux

Il m’arrive parfois de m’enrager contre la technologie comme si nous ne pouvions plus rien faire sans. Je me rappelle avoir laissé une empreinte inoubliable au département de soutien informatique de l’université Laval lorsque j’avais lancé mon clavier sur le mur parce qu’il ne fonctionnait pas et qu’aucun technicien n’était là pour me dépanner (l’ordinateur s’était remis en marche par la suite!) ou d’avoir engueulé vertement un agent de soutien technique de Vidéotron parce que je n’arrivais pas à programmer la nouvelle manette de ma télévision et que je ne comprenais pas les instructions téléphoniques dudit agent.

 M’enfin, je ne suis pas toujours aussi exaspérée mais je dois avouer avoir moins de patience avec les objets qu’avec les gens (heureusement!). L’humoriste Michel Barrette fait un monologue particulièrement savoureux à cet effet où il raconte comment le quotidien se vivait dans son temps, bien avant la venue de la technologie. Il fallait se lever pour changer le poste de la télé, poster une lettre et attendre la réponse par courrier traditionnel et tout un tas de choses qui nous obligeaient à nous déplacer pour obtenir ce qu’on voulait. Dommage que je n’aie pas retrouvé la vidéo sur Internet. Je dois confesser que mon seuil de patience s’est abaissé avec les années. Alors qu’auparavant, nous étions habitués à patienter des jours avant d’obtenir une réponse quand on communiquait, aujourd’hui on s’impatiente si la personne ne nous a pas répondu dans les 5 minutes suivant l’envoi d’un texto ou d’un courriel. Je suis la première à manifester des signes d’impatience et à rager devant mon clavier ou mon cellulaire quand l’autre ne me répond pas ou que la communication coupe sur Skype.

 Nous sommes à l’ère des communications et pourtant, la dépression et le sentiment de solitude sont aussi en hausse. A l’époque où on n’avait d’autres choix que d’attendre une lettre quand tous les autres moyens de communication ne fonctionnaient pas, ou dans des temps plus reculés encore lorsque le messager était le seul lien avec votre interlocuteur, on ne pouvait faire autrement qu’entretenir l’imaginaire et la foi en l’espérance d’une réponse qui tardait parfois à venir. Quand je regarde un film où le téléphone n’existait même pas, je me demande comment les amants vivaient cet éloignement, l’absence de nouvelles. Je crois que pour diminuer l’angoisse, ils s’occupaient! S’activer dans l’attente.

 Si ce n’eut été de l’informatique, je n’aurais probablement jamais rencontré mon conjoint. Même si Internet apporte son lot d’inconvénients et qu’il n’est pas la solution à la solitude caractéristique de notre époque, il demeure que c’est un moyen d’échanges qui facilite les rapprochements lorsqu’un des deux conjoints est au loin. Il faut le voir comme ça. Comme je l’ai dit dans un article précédent, un couple c’est un projet en soi et ce projet ne doit pas être en suspens parce que l’autre n’est pas à un mètre de vous.  L’éloignement permet la différenciation. Ce n’est pas une fuite ni le déclin de l’amour. Il s’agit d’éloignement planifié et temporaire. Il y aura toujours un retour.

 C’est un art d’affronter le quotidien en couple mais seule, j’en conçois, mais le temps demeure notre meilleur allié à une époque où nous en manquons. Ça permet de mettre les priorités aux bonnes places. Il y a ces petits moments de bonheur, nos rendez-vous sur Skype, qui valent leur pesant d’or et même si c’est pour parler de tout et de rien, de notre quotidien mutuel durant quelques minutes (« qu’as-tu fait aujourd’hui? », « tu es en forme ? », « tu as bien dormi? », « je t’aime »), le fait d’être au rendez-vous à l’heure convenue (lorsque c’est possible) suffit à entretenir le sentiment amoureux entre nous.

 Ça me rappelle une histoire qu’une ancienne collègue, Véronique, m’avait contée bien avant que je rencontre le Capitaine. Elle disait que sa mère avait été mariée pendant 25 ans avec son deuxième mari et tous les jours durant ces 25 ans, il lui laissait, avant de partir au travail, des billets doux un peu partout dans la maison. Parfois, c’était des petits « post-it » collés quelque part ou un tendre mot dans son sac à lunch ou encore dans la poche de son manteau. Tous les jours… Et sa mère avait gardé dans une boîte tous ces mots comme des caresses qui embellissaient son quotidien et la confortaient dans les moments difficiles.

 Je me rappelle avoir été très impressionnée, l’avoir enviée, avoir désiré vivre moi aussi une relation aussi passionnée même si je n’avais plus grand foi dans une vie de couple durable.

 L’éloignement, une catastrophe, une épreuve? Ben non… J’ai, moi aussi, mes rendez-vous doux comme un fil d’Ariane qui me guide.

Femme de marin 2013-3: Dans les petits bateaux, les meilleurs onguents…

Ce qu’il y a d’ennuyeux dans l’amour, c’est que c’est un crime où l’on ne peut pas se passer d’un complice. (Charles Beaudelaire, Mon coeur mis à nu)

 Tu te lèves, traîne tes pantoufles dans toute la maison, tournes en rond. Tu vas te faire un café et pendant que tu attends le doux nectar qui va te remettre d’aplomb, tu regardes par la fenêtre la neige tomber. La ville dort encore sous un manteau blanc. L’ordinateur est ouvert et aucun message t’attend, pas plus que sur le répondeur téléphonique. Une autre année commence et il n’y a qu’un amoncellement de vaisselle sale qui attend d’être lavée. Méchant planning! Tu regardes le canal météo et c’est la merde pour la semaine à venir. Tu refermes la télé.

Tu remarches dans la maison, prends ton café au passage. Il est quelle heure déjà? Neuf heures et tout le monde dort encore. C’est normal, hier tout le monde tombait dans les bras de tout le monde pour se souhaiter bonne année et festoyer après avoir ri un bon coup devant le traditionnel Bye-bye. Tu viens de passer toutes les vacances des Fêtes seule parce que c’est ce que tu voulais. Tu venais de clairer un xième soupirant qui soupirait plus qu’il n’agissait. Tu lui as donné son bleu parce que tu en avais assez d’absorber ses mensonges. T’es une vraie éponge – déformation professionnelle, sans doute –  et cette fois-ci, tu as essoré tout ce qui se trouvait sur ton passage. C’est le cadeau de Noël que tu viens de te faire et la résolution que tu comptes tenir pour la nouvelle année. Tu es la maîtresse.  La bien-aimée aux heures convenues.  T’es comme un port où les marins accostent, font leur « pump out », se ravitaillent et repartent illico vers des cieux plus lumineux. Oui, je sais, t’avais dit plus jamais de cette assuétude molle, plus jamais d’attente à ne rien faire qu’attendre.

Merde, t’as plus de lait pour un autre café et tu devras sortir sous un froid sibérien. Shit!

Soupir et re-soupir. Allons voir quel idiot, à part toi, est connecté sur ce maudit réseau de contact sur lequel tu as réactivé ton abonnement. La veille, un ami t’a presque tordu le bras pour que tu te remettes en marche, non convaincue que c’est la bonne chose à faire pour une célibataire dans la quarantaine, intelligente mais qui souffre de myopie affective.  Tu viens de te débarrasser de ce statut de maîtresse.  Tu devrais en être soulagée.  Pourtant, tu as si froid, seule.  T’as froid aux yeux… Ton ami a raison : tu dois reprendre la mer. Holly shit!

Tu t’affales devant l’ordi, fixe le curseur qui clignote à intervalles réguliers. La souris est impatiente mais tu la fais languir. Ton estomac crie famine. Tu retournes à la cuisine et ouvres le frigo. Pas grand-chose à se mettre sous la dent. Le pain commence à moisir. Faudra le jeter. Manque de courage. Retour à l’ordi comme on va à l’échafaud. Rafraîchir la page. Seules quelques âmes esseulées font leur apparition. Tu ne connais personne sauf peut-être un type dont tu retournes voir la fiche. Ça te dit vaguement quelque chose. Vous ne vous seriez pas parlé quelques fois l’an passé? Ta mémoire fait des « free games ». Active-toi un peu! Tu lui lances un « Tu dois pas te rappeler de moi mais bonne année quand même! » Une bouteille à la mer comme un S.O.S…

Retour au frigo sans grande conviction. Profonde réflexion existentielle sur la composition d’un déjeuner acceptable. Un bagel te tend les bras. Une brassée de lavage serait la bienvenue. Retour à l’ordi, un bagel dégoulinant de beurre de peanuts qui te tache les doigts. You’ve got mail!

Le type se rappelle bien de toi et te remémore des bouts de discussion dont tu n’as aucun souvenir. Eh bien… Retour à la fiche pour revoir la photo et relire le texte, histoire de sortir d’un coma éthylique solitaire en espérant qu’un brin d’intelligence va remonter à la surface. Tu tentes d’assembler les mots pour former des phrases cohérentes et intéressantes. Au deuxième message, il te donne son numéro de téléphone. Tu passes proche de l’envoyer paître, histoire qu’il ne s’imagine pas que tu es là à attendre le Messie, un filet de bave sur le menton. Mais tu te ravises et tu écris que s’il est vraiment intéressé, il va se plier au dur exercice de la correspondance pendant un  petit moment. Il te répond en te disant qu’il a pensé dans un premier temps t’envoyer te faire foutre mais que, tout bien considéré, c’est pas une si mauvaise idée que ça! Bon, celui-là il dit au moins ce qu’il pense. Ça augure bien.

Quelques jours plus tard, tu as consenti à l’appeler – conversations intéressantes qui vident la batterie de ton téléphone. Après deux semaines, vous êtes allés bruncher un samedi « moinstrentedeuzien » dans un restaurant qui manquait de chauffage. Le type n’avait rien de ce qui t’attirait normalement chez un homme mais la voix était chaude, l’écoute intense, le rire sincère et il avait ce petit geste qui t’émouvait : quand tu parlais, il passait doucement son doigt sur sa lèvre, micro-caresse qui laissait présager quelque chose d’invitant. Tu t’es dit : « Celui-là, regarde-le avec les yeux du cœur ».

Il a tout de suite mis la table, a dit qu’il allait partir, c’est sûr, un projet de retraite où il allait naviguer jusqu’en Turquie. Tu as failli lui dire : « Bien contente de t’avoir connu » mais quelque chose t’en a empêché. Au contraire des autres qui finissaient toujours par conjuguer le mot rester au passé, celui-là te parlait de départ mais tu sentais dans ses yeux qu’il voulait faire de toi son port d’attache.

Tu lui as réservé la meilleure place, un port avec un seul quai, un bail à vie. Une façon différente d’aimer.

C’était il y a 10 ans. C’est comme ça que j’ai connu le Capitaine.