Ce ne sont pas les grandes tragédies qui conduisent un être humain à l’asile,
Ce n’est pas la mort de ses amours, c’est un lacet de bottine
Qui se rompt lorsque le temps manque.
Charles Bukowski
Je suis une grande tragédienne. C’est connu. Du moins, de mon entourage. Mon amie Guylaine se plaisait à me qualifier, le revers de la main sur son front, de « Oh, drame-Mado! » quand nous étions à l’université. Et le pire c’est qu’elle avait raison! De ma plus grande force (i.e. raconter) naissait mes plus grands drames (i.e. me croire). Ça pouvait être dans le vice comme dans le versa…
Dernièrement, j’ai assisté à une conférence du Dr. Serge Marquis, celui-là même qui a écrit un livre très instructif sur soi-même : Pensouillard le hamster – petit traité de décroissance personnelle. Ça n’a rien à voir avec de la psycho-pop, genre de livres que j’exècre au plus haut point! Sa conférence s’intitulait : « Calmer la bête ». Quel est le lien avec mon côté tragi-comique? C’est que la bête est en fait le petit hamster qu’on se plaît à faire courir dans notre tête. C’est notre cerveau qui ne veut pas s’arrêter et qui, jour et nuit, rumine, angoisse, planifie et s’affole. Le hamster est une métaphore de notre Ego. Tout part de là. Les réactions et sensations désagréables apparaissent parce que notre Ego est froissé. On se sent rejeté, jugé, imparfait, imposteur.
Le hamster est le pire monstre que l’humanité a créé parce qu’il augmente notre état de stress et met en péril notre système immunitaire. J’ai appris lors de cette conférence que lorsqu’on vit un état de stress, ça prend 6 heures au système immunitaire pour redevenir efficace. Six heures! Je n’ose même pas calculer combien de jours j’ai perdus dans ma vie parce que j’ai laissé place à l’anticipation et que la majorité du temps, mon hamster a couru pour rien!
Mais il ne suffit pas de prendre conscience de ça pour que la bête cesse de tourner en rond. Ça prend de la discipline pour savoir s’arrêter, mot qui est révolutionnaire aujourd’hui, selon l’opinion du Dr. Marquis, parce que nous vivons dans une société qui est pressée. C’est peut-être en partie pourquoi nous abdiquons souvent. Pourtant, nous changeons tout au long de notre vie, c’est un signe d’évolution. Il est faux de penser que tout se joue avant 6 ans. Il faudrait plutôt dire que tout se joue avant 100 ans. Ce serait une pensée plus optimiste et encourageante!
Il y a eu aussi, dans la même semaine, une conférence donnée par Mylène Paquette, la première femme en Amérique du Nord à traverser l’Atlantique à la rame. Je suis allée lui parler après sa conférence et elle m’a dit que malgré ce projet qu’elle avait accompli, elle avait toujours peur de l’eau, mais qu’on pouvait décider de continuer à nourrir ses peurs – autrement dit, faire courir son hamster – ou les confronter, ce qui, somme toute, est une façon de « calmer la bête ».
Durant sa conférence, elle projetait des images qu’elle avait prises durant son périple et une m’a particulièrement frappée. Elle racontait combien elle anticipait sa rencontre avec les requins car elle devait régulièrement plonger sous la coque pour aller la nettoyer. Avant son départ, elle avait commencé un long travail de visualisation avec une psychologue. Elle avait installé sous la coque une caméra go-pro pour se prendre en photo et nous montra la première photo qu’elle avait prise. On la voit tête sous l’eau, et un tout petit poisson passe près d’elle. Celle qui avait perdu tant de temps à imaginer de gros poissons épeurants, se retrouvait devant cette petite bête inoffensive…
C’est une photo magnifique qui m’a beaucoup émue et qui m’émeut toujours à chaque fois que je la regarde. Peut-être est-ce parce que j’ai très peur de me retrouver sous l’eau. Je ne sais pas pourquoi j’ai cette peur depuis que je suis jeune. Je n’ai trouvé aucun événement que je puisse relier à l’origine de cette peur. Peut-être est-ce tout simplement que l’eau cristallise une peur diffuse que je n’arrive pas à nommer autrement. Mais peut-être que cette photo m’émeut aussi parce que c’est une image très forte au sens métaphorique!
J’ai compris il n’y a pas longtemps que chercher constamment l’origine de ses peurs est vain car ça use. J’essaie d’en être plus consciente aujourd’hui et quand j’y arrive, je me demande si c’est une pensée qui m’est utile et constructive. J’essaie de plus penser que de pensouiller.
Même si le terme est galvaudé, le Dr. Marquis parle de la capacité d’être présent (à soi, aux autres, à ce qu’on vit), ce qui diminue forcément l’anticipation. Rien de bien sorcier mais c’est pas mal plus facile à dire qu’à faire, je sais… Mais au lieu de dire constamment : « J’aimerais être un artiste », j’ai commencé à me dire et à dire aux autres : « Je suis une artiste ». C’est à ce moment-là que j’ai ressenti combien le milieu dans lequel je travaille était loin de mes aspirations et talents, mais une phrase du Dr. Marquis rend ce quotidien plus acceptable :
« Il faut découvrir en nous ce qui ne vieillit jamais ». La capacité d’aimer, de créer, de transmettre, d’apprendre, de savourer….
Depuis quelques jours, ma bête est plus calme, réduite à une image plus réaliste, un petit poisson qui vogue près de ma coque. Ça fait du bien…